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Pointculture_cms | critique

TERRE DE LA FOLIE (LA)

publié le

Cinq punaises reliées par un élastique, presque assez larges pour masquer ce qu'elles recouvrent – quelques villages des Préalpes du Sud – définissent un vague pentagone qui semble depuis toujours en proie à une folie meurtrière aussi irrationnelle […]

Cinq punaises reliées par un élastique, presque assez larges pour masquer ce qu'elles recouvrent – quelques villages des Préalpes du Sud – définissent un vague pentagone qui semble depuis toujours en proie à une folie meurtrière aussi irrationnelle qu'inexpliquée. Folie qui est aussi le point de départ et la condition même de l’existence de la démarche artistique de Luc Moullet.

« L'arrière-petit-neveu du bisaïeul de ma trisaïeule avait tué un jour à coups de pioche le maire du village, sa femme et le garde champêtre, coupable d'avoir déplacé sa chèvre de dix mètres. Ça me fournissait un bon point de départ... Il y a eu d'autres manifestations du même ordre dans la famille ».

L'élocution traînante, limite atone, le cheveu rare et la barbichette grisonnante, Luc Moullet fait parfois plus vieux que son âge (il est né en 1937). Mais, cet ancien de la Nouvelle Vague et des Cahiers du Cinéma, auteur méconnu d'une petite quarantaine de films aux formats et durées variables et qui tâtent de tous les genres, appartient à une espèce peu répandue au sein de l'Hexagone et ailleurs, celle des comiques pince-sans-rire, farfelus et (dans ce cas-ci), intrinsèquement méditerranéens voire... sud alpins (voir bonus)!

Tout part d’un constat énoncé avec l’assurance tranquille d’un homme qui se sait si indissolublement intriqué avec son sujet (la folie), que pas une seconde durant, il ne cherche à masquer le processus thérapeutique sous-jacent à sa démarche artistique : « je ne suis pas quelqu’un de très normal », avoue-t-il avant de dresser un autoportrait qui souligne, via un rapide tour du propriétaire, une insistante propension à la solitude et à l’isolement consenti. Et le livret du DVD d’ajouter l’incapacité chronique du cinéaste à accomplir les gestes quotidiens les plus anodins; lacer ses chaussures, danser, skier, conduire et… - on s’en serait douté – marcher au pas !

tdfEnsuite, il glisse d’un portrait de famille au lourd passif borderline, où trône la figure d’un père champion toutes catégories de la girouette politique, à la région dont il est originaire, les Alpes-de-Haute-Provence ou Préalpes. Là, entre les bourgs – parfois indécelables sur cartes – de Castellane (seule cité d’importance), Quinson, Sault, Rosans et Montclar, punaisés comme des insectes par les mains d’un entomologiste-enquêteur, Moullet borne, par un simple élastique, un pentagone avec Digne pour centre, à l’intérieur duquel – estime-t-il – la fréquence des crimes sans mobile apparent est nettement supérieure à la moyenne nationale. Sans itinéraire clair ou logique précise, il passe à la sinistre énumération laconique des faits, sautant d’un meurtre à un autre et d’une localité à la suivante au gré de ses déambulations erratiques, sans égard pour une quelconque chronologie ou essai d’articulation des événements, mais sans jamais non plus user des artifices et ficelles de la dramatisation sensationnaliste, devenus lieux communs dans la profusion des émissions choc (Faites entrer l’accusé…) qui inondent le petit écran. Moullet mène sa petite enquête à la façon d’un grand enfant un peu attardé, la constitution fragile et le geste hésitant, qui présente ou commente sommairement les faits depuis les lieux mêmes où ils ont été perpétrés, interroge des témoins qui parfois le fuient ou ont partie liée à la psychiatrie (une dame au débit kalachnikov à laquelle il se confie volontiers) ou s’attarde sur des détails sans véritable importance (le charcutier voyageant en bus, les restes de sa victime découpée emballés dans un sac plastique à la main, a-t-il remboursé à une commerçante locale la petite somme d’argent qu’il lui devait ?!), et avance, au cas par cas des tentatives d’explications qui résistent mal à une analyse rationnelle; impact du nuage radioactif de Tchernobyl; isolement endémique d’une région inadaptée à la pratique des sports d’hiver et sur laquelle un vent soutenu souffle en quasi permanence; trait sociologique propre à une population de faible densité, menacée de consanguinité et « arriérée », qui a la rancune tenace et peu d’inclination naturelle au dialogue; proximité d’une base arrière de la Mafia (Manosque)… Le tout, assorti de  «reconstitutions » à la sauce Moullet (il semble d’ailleurs affectionner le coup de pioche dans l’herbe plus que de raison), à la fois bancales et affreusement simplistes dans leur mise en scène désuète, mais qui ont le double avantage de sabrer à la racine la moindre propension inflatoire au spectaculaire et de souffler - alors que rien ne s’y prête au milieu de cet itinéraire meurtrier conté – d’irrésistibles bouffées comiques. Un comique de gai luron (façon Gotlib) fantasque qui s’est autrefois enquis de trouver une capitale plus ensoleillée pour son pays (bonus 2), ou de Charlot vieilli et arthritique, mais qui, derrière l’apparente innocence du propos et l’aspect désordonné de sa présentation fait remonter bien des choses. Comme ici, l’irréductible part de violence de nos sociétés humaines.

Pas dupe cependant, notre homme va au-devant de toute réserve critique à l’égard de son film, joint le geste à la parole dans une ultime culbute ludico létale, entre rire et soupir (d’effroi).

Belle souplesse !

 

Yannick Hustache

 

 

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