JOLLITY OF MY BOON COMPILATION (THE)
Le chant de la Lyenn
Sorti en 2009 dans une discrétion qui sied à la découverte d’un disque qui fait la part entre l’audition et l’écoute, The Jollity of My Boon Companion est à inscrire au plus vite au patrimoine des essences musicales rares à préserver
De Lyenn, on sait peu de choses. Belge de mère anglaise – c’est toujours mieux pour l’accent – une enfance des plus tranquilles dans un environnement plutôt porté sur le classique et un inopiné dépucelage rock à l’internat, des oeuvres d’un ami, grand fan de Jimi Hendrix devant l’éternel. Ensuite, en 2009, Lyenn, Frédéric Jacques pour l’état civil, sort un premier album distribué par le réputé label hollandais Munich et sur lequel apparaissent les signatures aussi réputées que celles de Marc Ribot, Ches Smith (batteur mercenaire pour Zorn, Xiu Xiu et impliqué perso dans une kyrielle de projets), Sam Amidon (autre solitaire discret à débusquer) ou encore l’estimée Jolie Holland. Une parution suivie, certes, d’un petit nombre de prestations scéniques, mais sises à chaque fois en première partie de personnalités (exclusivement féminines ?) telles Marissa Nadler ou Carla Bozulich, en face desquelles la banalité passe-partout et la demi-mesure ne sont pas de mise…
Sûr qu’entrer par effraction ou avec des semelles de plomb dans The Jollity of My Boon Companion peut conduire à de solides malentendus. Le premier, qui cueille au vol tout chanteur pop ayant quelques prédispositions - fussent-t-elles naturelles - à l’emphase (l’élévation ?) et au lyrisme serait de le verser au rang des épigones de Jeff Buckley. Le second, partant du constat que cette plaque se dérobe à toute autre forme d’écoute qu’attentive et donc forcément solitaire et prend quelques solides libertés avec le format chanson « standard », de lui accoler l’étiquette jazzy. Douze ans après sa sortie, l’éponyme et anthologique album de Mark Hollis voit la reconnaissance définitive de ses pairs encore entravée faute d’une classification à la va-vite.
C’est d’ailleurs à ces instants de fragilité suprême sur fond de silence d’avant le son et de notes choisies une par une de l’ex chanteur de Talk Talk que l’on songe (« Kind of Silence »). Cet art de l’équilibre harmonique précaire qui associe volutes de figures vocales fuyantes et une instrumentation nombreuse mais utilisée avec parcimonie. Un exercice de haut vol qui peut aussi bien se terminer sur une chute en piqué en plein marigot maniériste, après la fonte des ailes mélodiques au soleil d’un lyrisme brûlant (écueil du dernier Shearwater), que se poursuivre en mode automatique aussi longtemps que la tendance musicale boboïsante de fond est au chichiteux mortifère ou planant (Sigur Rós, hélas trop souvent). Car même si Lyenn revendique son attachement à l’école improvisée, dimension qu’il explore plus volontiers sur scène, et débute par un « Forsakken Joy » empreint d’une touche de mysticisme animiste à la Richard Youngs, le Belge s’arrime ses feulements à quelques mesures blues (« Holler », « Daytime ») qui le conduisent à une transe mêlée de repentance façon David Eugene Edwards (16 Horsepower, Woven Hand) sur « Wistful Longer » ou « Seed And Seedman ». Ailleurs (« Robert »), ses modulations vocales semblent émerger du néant pour un décor de ruines où la vie reprend malgré tout ses droits, ou procéder en direct (« Our Turn »), à la cautérisation de quelques vieilles plaies dont les douleurs sont exclusivement intérieures.
Il sera dit plus que probablement que Lyenn est l’un des innombrables petits-enfants de Robert Wyatt, ce patriarche dont la voix ne pèse rien mais peut soulever des continents d’émotions pures et dont la silhouette (voilée) plane sur The Jollity of My Boon Companion sans jamais le menacer de son ombre. Mais à l’instar de la haute stature du guitariste à la pénible et virtuose descendance qui lui a fait mettre un pied à l’étrier (Hendrix), Lyenn a su s’approprier une petite part de ciel où ses chansons s’ébattent en toute liberté.
Pour longtemps, on l’espère.
YH