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Pointculture_cms | critique

TRAVERSÉE DU TEMPS (LA)

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Adapté à l’écran par l’auteur de « Paprika », Mamoru Hosoda, la « Traversée du temps » (le film ou manga) est tiré d’un bouquin vieux de quarante ans écrit par Yasutaka Tsutsui. Ce dernier traitait des questions du temps et du futur telles que se les […]

 

Adapté à l’écran par l’auteur de « Paprika », Mamoru Hosoda, la « Traversée du temps » (le film ou manga) est tiré d’un bouquin vieux de quarante ans écrit par Yasutaka Tsutsui. Ce dernier traitait des questions du temps et du futur telles que se les envisageaient les jeunes filles d’alors et prend quelque part, décalage d’époques aidant, la forme d’une nouvelle interrogation liée au statut de ce « futur » tel qu’appréhendé par les générations (féminines) d’aujourd’hui.

La trame de départ est limpide. Makoto est une lycéenne sans qualité particulière, plus encline à traîner avec ses deux amis garçons (le fantasque et je-m’en-foutiste Chiaki et le nettement plus sérieux Kôsuke, grosse tête de la bande) et à faire des passes de base-ball qu’à envisager ce qui pourrait survenir le lendemain.

Mais c’est le temps et son jeu infini de ramifications qui vont s’inviter sans crier gare dans une journée d’été ou tout a commencé de travers pour Makoto. Alors qu’elle s’affaire dans la précipitation à ranger les cahiers dans le labo, elle est surprise, chute et se retrouve propulsée… le matin même de cette folle journée !

Elle réalise qu’elle a obtenu le pouvoir d’effectuer des sauts de puce temporels dont la grandeur dépend de la violence du choc qui les enclenche. Après en avoir touché un mot à sa tante qu’elle surnomme affectueusement sorcière (une célibataire d’une trentaine d’années un peu étrange qui restaure des tableaux et peu surprise par la chose), Makoto tente de tirer parti de son avantageuse faculté en essayant de remonter, au cas par cas, en amont de situations problématiques avant leur survenance. Mais le temps ne cesse de se dérober à elle et au lieu de dénouer quelque problème que ce soit, l’adolescente ne fait qu’enclencher de nouvelles chaînes de conséquences dont l’une débouche sur la mort possible de son ami Kôsuke et quelques autres par la mise au banc de notre « héroïne ».

L’idée, ni très neuve, ni très originale de la traversée du temps est exploitée habilement dans un premier temps comme révélateur de la circulation des sentiments, tant à l’intérieur du triangle dysfonctionel Makoto/Chiaki/Kôsuke (le second avouant sa flamme à la première), que dans la complexe articulation des rapports personnages principaux et secondaires. Grâce à ses déplacements temporels, Makoto devance les habitudes de sa petite sœur (Miyuki) de lui chiper son dessert ou remet sa copie bien avant l’heure lors d’une interrogation surprise qu’elle a évidement anticipée, mais perd totalement pied dès qu’il s’agit de faire se rapprocher les cœurs (Chiaki et Kôsuke ont chacun leur prétendante, elle-même ne sait que trop faire entre sortir avec Chiaki ou laisser leur amitié platonique en l'état), voire recueille la haine de Sôrujô, involontaire victime collatérale et circonstanciée des « sauts » de la lycéenne.

Aux habituels et indolores bémols de ce manga (les personnages mangent comme des cochons, les rapports demeurent enfantins ou virent à l’hystérie dès qu’il est question de sentiments amoureux) qui reste un rien trop timoré pour oser aborder frontalement la question de l’adolescence au féminin, s’ajoutent les deux trois incongruités d’un scénario qui perd en lisibilité ce qu’il gagne en incohérences. Alors que Makoto ne peut éviter un accident fatal à Kôsuke, le temps suspend son cours et elle apprend, de la bouche même de Chiaki qui ne semble pas affecté par cette suspension, l’origine et la nature de son pouvoir. Celui-ci débarque d’un futur kafkaïen à la recherche d’une œuvre d’art égarée (une peinture que restaure « tante sorcière ») et a fini par se trouver bien dans ce passé « déjà écrit ». La variante locale de cette machine à remonter le temps a la forme d'un minuscule grelot fonctionnant à l'énergie vitale. Ses utilisateurs n'ont droit qu'à un nombre limité de charges (visibles par un tatouage numéroté et changeant au bras du voyageur) avant la désintégration définitive de ce dispositif light. Désinvolte et boudée par la chance, Makoto l'apprend évidemment à ses dépens au moment où il ne lui reste plus qu'un ultime coup à jouer !

Mais ce film semble passer outre une donnée/loi incontournable qui fait que l'on ne peut absolument pas changer le passé sous peine d'annihilation… et même si le futur reste à écrire! Car toute tentative de modifier le flux des événements se verrait impitoyablement consignée par l'histoire. Dans « L'armée des 12 singes » (calqué sur la « Jetée » de Chris Marker), un Bruce Willis, hanté par une image de mort remontant à son enfance, est renvoyé quelques décennies plus tôt pour y arrêter un terroriste détenteur d'un virus mortel, meurt abattu et impuissant sous les yeux de son alter ego… enfant ! Plus souple, mais sans déroger aux exigences de cette impitoyable logique, Jean Van Hamme adore trimbaler à l'infini son personnage de bandes dessinées Thorgal dans les méandres tortueux du temps et semble lui conférer le pouvoir d'en modifier le cours (un album tient tout entier sur cette astuce : « Le maître des montagnes »), mais à la fin, les interférences momentanées s'annulent et le passé demeure inchangé. Signalons enfin que la science-fiction et les Comics U.S. ont inventé le concept pratique d'uchronie qui autorise toutes les explorations possibles de lignes temporelles divergentes (et si Hitler avait gagné la guerre, Kennedy n'était pas mort assassiné…).

Le ballet des chaînes d'événements passés/modifiés, rattrapés/insurmontables, drôle et mené de main de maître dans la première partie du film se conclut sur une pirouette sentimentale et scénaristique (que nous ne révélerons pas ici), qui à défaut de rassasier les adeptes de romantisme fleur bleue, laisse dans sa fin « entrouverte » plus de questions maladroitement en suspend (quid du statut de la peinture perdue ?) et l'impression gênante que le film se débarrasse du formidable réservoir de situations potentielles inexploitées par une queue de poisson plus pratique pour terminer dans les chronos (...) que réellement convaincante.

Reste trois solutions : une version corrigée ou « remontée », une suite (risqué) ou une vision « stricto sensu » en amoureux…

Yannick Hustache

 

 

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