BEDLAM
Angleterre 1761, l'âge de raison. Maître Sims, directeur de l'hôpital
psychiatrique St. Mary of Bethlehem (Bedlam), règne par la terreur sur
les internés. Nelle Bowen, maîtresse de Lord Mortimer, y est internée
par contrainte. Avec gentillesse et dévouement, elle vient en aide aux
malades. Ils se révoltent, jugent le directeur et obtiennent l'amélioration
de leurs conditions de vie.
Bedlam est l'abréviation de Bethlehem (maison du pain). À l'origine
(XIII e siècle), il est bâti pour recueillir les déshérités,
puis pour traiter les gens aux comportements jugés anormaux. Au XV e
siècle, il devient l'un des premiers hôpitaux psychiatriques au
monde. C'est donc à une vénérable institution anglaise
que s'attaque le réalisateur Mark Robson, en montrant les excès
de l'univers psychiatrique. Son film sera interdit en Grande-Bretagne, et restera
inédit en France jusqu'en 1974. Il mérite d'être vu pour
son esthétique et son « historicité » qui
ont valeur de témoignages.
Une certaine théâtralité de la mise en scène, les
costumes, les décors, les personnages sont inspirés des gravures
(reproduites à l'écran) et des peintures de William Hogarth (1697-1764) :
l'intérieur de Bedlam, dernière image de la série intitulée
« A Rake's Progress » (la Carrière du roué),
le page africain de la peinture « Le Mariage à la mode »,
la caricature de John Wilkes (polémiste) montrée dans un journal
du temps. Avec un sens aigu de la critique sociale, grâce à sa
fécondité d'invention, Hogarth choisit des sujets moraux modernes,
forme d'images inédites pour l'époque, et sort l'école
anglaise de son désert pictural en lui donnant une identité propre.
Mark Robson, cinéaste éclectique, se révèle ici
cinéaste de genre par une oeuvre où la plastique, au service des
idées, demeure l'élément essentiel.
L'usage du clair-obscur où la bougie fait vaciller les images de la réalité
vers le cauchemar, l'expressionnisme des perspectives déformées
de l'hôpital, augmentent l'impression d'angoisse et d'horreur dans l'univers
infernal où Nelle Bowen saine d'esprit, désespérée
se cogne parce que le maître des lieux le veut ainsi.
Les visites de l'asile (vues à l'écran) par des oisifs de la bonne
société, comme on contemple des animaux sans âme, sont historiques :
il faut payer un penny ! Certaines années, on compte cent mille
visiteurs; tout étranger qui visite Londres doit, avec les hauts lieux
de la ville, visiter Bedlam, unique en son genre. La direction organise, pour
la haute société, des spectacles qui remportent un franc succès.
Dans le film, ces scènes marquantes : lors d'une représentation,
un fou couvert d'or symbolise la Raison, puis meurt étouffé; une
folle lui succède en chanteuse populaire... l'ami de Nelle l'appelle
sous les fenêtres, et les internés en écho vont répétant
son nom ! Maître Sims (Satan ?) capturé par les aliénés
révoltés est jugé par ces derniers et l'un d'eux crie :
« Je suis Salomon, coupons-le en deux ! ».
Le Siècle des Lumières est celui des discussions philosophiques
et humanistes. La société anglaise se divise principalement en
deux tendances : les Tories plutôt frivoles et pessimistes, les Whigs
prônant la charité et dispensateurs du ‘Rousseauisme'. Porteuse
de cette tendance, notre héroïne la met en oeuvre, soutenue par
d'autres membres éclairés de son entourage. L'asile reconstruit
s'ouvrira au monde pour le mieux-être de ses malades.
( Pierre Coppée, Charleroi )
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