Des révoltes qui font date #26
24 décembre 1913 // Des grévistes et leurs familles sont massacrés lors d'une fête de Noël
Sommaire
Une fête de Noël pendant une grève
Le 24 décembre 1913, des mineurs de cuivre et leurs familles s’étaient réunis pour fêter la Noël à Calumet au Michigan. Les ouvriers étaient en grève depuis le mois de juillet, exigeant de leur compagnie, la Calumet and Hecla Mining Company (C&H), la reconnaissance d’un syndicat des travailleurs, un salaire plus élevé et de meilleures conditions de travail. Cette grève se poursuivrait jusqu’en avril 1914. La demande en cuivre avait en effet augmenté exponentiellement à la fin du 19e siècle avec la popularité grandissante de l’électricité et la demande accrue de dynamos. À cette époque, de nombreuses mines existaient au Michigan et étaient exploitées par des patrons avides de bénéfices, provoquant la création de syndicats ouvriers pour défendre leurs droits.
Le massacre
Lors de cette fête organisée par les auxiliaires féminines du syndicat (la Western Federation of Miners), plus de quatre cent personnes s’étaient réunies au second étage d’un bâtiment nommé Italian Hall. À un moment, quelqu’un a crié « Au feu ! », alors qu’aucun incendie n’avait été déclaré. Une panique s’ensuivit, et les gens se sont rués vers la seule issue menant vers des escaliers très étroits et précédés d’une double porte s’ouvrant vers l’intérieur, bloquant, écrasant et étouffant 73 personnes, dont 59 enfants, dans la mêlée.
Aujourd’hui encore, il subsiste des doutes sur l’identité de la personne qui a crié « Au feu ! » mais certains historiens pensent qu’il s’agit d’un allié de la direction, un anti-syndicaliste qui voulait interrompre la fête.
Woody Guthrie
Pendant les années 1940, Woody Guthrie enregistre de nombreuses chansons politiques et sociales pour le label de Moses Asch, Folkways. Woodrow Wilson Guthrie naît le 14 juillet 1912 dans une famille relativement aisée à Okemah, Oklahoma. Mais la fortune de la famille se fait et se défait au gré des investissements de son père dans l’immobilier local et elle est marquée par divers malheurs : sa sœur est tuée dans l’explosion d’une citerne de carburant, sa mère est diagnostiquée comme atteinte de la chorée de Huntington, une maladie mentale génétique qui mènera à de longues années d’internement, et son père est gravement brûlé lors de l’incendie de leur maison. La famille émigre au Texas et c’est là que Guthrie apprend à jouer de la guitare et de l’harmonica. À la fin des années 1920, il chante sur les scènes locales.
Les années 1930 sont marquées par les grandes tempêtes de poussière (Dust Bowl) qui déferlent en Oklahoma, au Kansas et au Texas, poussant de nombreuses familles ruinées sur les routes, s’exilant vers la Californie, terre promise qui n’est pas prête à les accueillir. Guthrie abandonne alors sa famille et prend la route. Il devient un vagabond, un hobo, se déplaçant à pied et ou en sautant dans les trains de marchandises, les freight trains. Il gagne de quoi se nourrir en chantant sur la route et survit grâce à la solidarité. Il se rapproche des mouvements de gauche, tout particulièrement à New York où il est arrivé à la fin des années 1930.
Chansons de protestation
Il y fait une rencontre qui transformera le cours de sa vie : le collecteur de musique Alan Lomax. Celui-ci enregistre quelques-unes de ses chansons et le présente à Moses Asch, le patron du label Folkways, qui lui proposera de produire des disques. En 1940, il écrit « This Land Is Your Land » qui est son morceau le plus célèbre et qui sera repris des milliers de fois par la suite, devenant un des hymnes principaux des mouvements de révolte des décennies suivantes. Il a été très prolifique pendant ces années, écrivant de nombreuses chansons sociales et politiques, à tendance communiste (même s’il n’a jamais rejoint aucune association précise) et antifasciste. Sur sa guitare, on pouvait lire « This machine kills fascists ». Il collabore avec Pete Seeger et joue dans les Almanac Singers. À partir de la fin des années 1940, sa santé décline : il est lui aussi atteint de la chorée de Hungtinton et son comportement devient de plus en plus imprévisible. Après de nombreuses hospitalisations et internements, il meurt le 3 octobre 1967, au moment où une nouvelle génération découvre son répertoire.
1913 Massacre
Take a trip with me in 1913,
To Calumet, Michigan, in the copper country.
I will take you to a place called Italian Hall,
Where the miners are having their big Christmas ball.
I will take you in a door and up a high stairs,
Singing and dancing is heard everywhere,
I will let you shake hands with the people you see,
And watch the kids dance around the big Christmas tree.
You ask about work and you ask about pay,
They'll tell you they make less than a dollar a day,
Working the copper claims, risking their lives,
So it's fun to spend Christmas with children and wives.
There's talking and laughing and songs in the air,
And the spirit of Christmas is there everywhere,
Before you know it you're friends with us all,
And you're dancing around and around in the hall.
Well a little girl sits down by the Christmas tree lights,
To play the piano so you gotta keep quiet,
To hear all this fun you would not realize,
That the copper boss' thug men are milling outside.
The copper boss' thugs stuck their heads in the door,
One of them yelled and he screamed, "there's a fire, "
A lady she hollered, "there's no such a thing.
Keep on with your party, there's no such thing."
A few people rushed and it was only a few,
"It's just the thugs and the scabs fooling you, "
A man grabbed his daughter and carried her down,
But the thugs held the door and he could not get out.
And then others followed, a hundred or more,
But most everybody remained on the floor,
The gun thugs they laughed at their murderous joke,
While the children were smothered on the stairs by the door.
Such a terrible sight I never did see,
We carried our children back up to their tree,
The scabs outside still laughed at their spree,
And the children that died there were seventy-three.
The piano played a slow funeral tune,
And the town was lit up by a cold Christmas moon,
The parents they cried and the miners they moaned,
"See what your greed for money has done."
« 1913 Massacre »
C’est pendant sa période prolifique du début des années 1940 que Guthrie écrit et enregistre « 1913 Massacre ». Il s’est inspiré de sa lecture de We Are Many (1940), l’autobiographie d’Ella Reeve Bloor, ou Mother Bloor, une activiste qui était présente lors des événements du 24 décembre 1913. Guthrie prend probablement quelques libertés avec les faits historiques, affirmant que les portes ont été bloquées de l’extérieur par des casseurs de grève armés, les « copper boss' thug men ».
Cette chanson reste un des témoignages les plus puissants et virulents sur ce drame qui a eu lieu à une époque où les syndicats devaient lutter pour leur existence aux États-Unis. Elle a été reprises de nombreuses fois par divers artistes, notamment son fils Arlo Guthrie, Ramblin’ Jack Elliott, l’Écossais Alex Campbell et Bob Dylan.
Un documentaire, 1913 Massacre, a été réalisé en 2011 par Ken Ross & Louis V. Galdieri, inspiré par la chanson. (Bande-annonce)
Il existe également un autre documentaire, Red Metal: The Copper Country Strike of 1913 – en anglais – sur les grèves de l'époque, visible dans son intégralité sur You Tube.
Le morceau est notamment disponible sur l’album Struggle (1976) et sur The Asch Recordings, vol. 3: Hard Travelin' (1998).
La version de Ramblin’ Jack Elliott, enregistrée en 1960
La version de Bob Dylan, enregistrée en 1961 à Carnegie Hall
Texte: Anne-Sophie De Sutter
Crédits photo: à gauche, les victimes du massacre de 1913 à Calumet (domaine public, via wikicommons)
Cet article fait partie du dossier Des révoltes qui font date.
Dans le même dossier :
- Grandir est un sport de combat « Olga » d'Elie Grappe
- Tragique dissonance : « Chers Camarades ! » d’Andreï Kontchalovski
- « The Revolution Will Not Be Televised » – Gil Scott-Heron
- Mouvement des gilets jaunes / Un documentaire de François Ruffin et Gilles Perret
- Opposition à la 2ème centrale nucléaire à Chooz / Une ballade du GAM