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Pointculture_cms | critique

WEST COAST THEORY

publié le

Deux Français font le tour des cuisines où se mijotent les beats qui ont fait de la West Coast (et la Californie du Sud plus particulièrement) la plus belle success story de l’histoire du hip-hop. Un documentaire ludique, instructif, à mettre devant […]

Deux Français font le tour des cuisines où se mijotent les beats qui ont fait de la West Coast (et la Californie du Sud plus particulièrement) la plus belle success story de l’histoire du hip-hop. Un documentaire ludique, instructif, à mettre devant tous les yeux, à défaut de le soumettre à certaines frileuses oreilles…

« Beatmakers » (littéralement: façonneurs de beats) à leurs heures perdues, Maxime Giffard et Félix Tissier auraient pu se contenter de filmer, avec les moyens propres au documentaire, une énième variation sur le mode « grandeur et décadence » de l’exponentiel triomphe du rap made in L.A. dans les 90’s avant son inévitable reflux à l’aube de la décennie suivante, tant victime des dérives de sa lucrative logique interne (gangsta rap) que d’un contexte général changeant de tout au tout (la crise du disque se faisant très tôt sentir).

Mais à un point de vue potentiellement racoleur et finalement sans grand intérêt, les deux hommes ont préféré l’option « inside the system », passant sans trop s’y attarder des conditions d’émergence du West Coast style et d’une rapide description de ses spécificités à la pénombre des studios où s’est forgé ce son qui les fascine tant, et dont ils prennent un évident plaisir (de fan) à décortiquer les composantes et à retrouver acteurs et lieux-clés.

Par habitude, on oppose le hip-hop West Coast (celui issu de Los Angeles et de la bande côtière sud californienne) à son pendant atlantique de l’East Coast, bien que l’appellation soit nettement moins usitée au profit parfois du seul vocable hip-hop new-yorkais. Berceau de cette révolution musicale majeure dès la fin des 70’s, la Big Apple est le terreau d’un rap sombre et sale, davantage imprégné de soul et de jazz que son éternel rival s’agitant à trois fuseaux horaires de là et plus prompt à exhiber sa face funk(y) et sa massive bonhomie.

dpUne différence qui ne se vérifie pas uniquement en termes d’influences musicales comparées, de variations de climats et de durées moyennes d’insolation, mais aussi par quelques caractéristiques propres au « californian way of life » qui sacralise la voiture comme l’unique moyen de transport d’un tissu urbain entièrement asservi à elle. À l’entame du reportage, Evidence des Dilated People étrenne une plaque en cours de mastering depuis son bolide customisé pour en évaluer défauts et qualités !

dreGiffard et Tissier reviennent brièvement sur l’histoire du hip-hop et ses fondamentaux (le beat, le sample…) pour se focaliser ensuite exclusivement sur sa variante West Coast qui, dans la foulée du retentissant succès du premier album solo du Dr Dre (« The Chronic », 1992), s’installa pour dix ans comme dans son salon sur les plus hautes marches des charts U.S. Temporairement en surface - à San Francisco pour une courte rencontre avec Roger Linn, l’inventeur de la première boîte à rythme en 1979 - le documentaire quitte la lumière du jour pour l’ombre de studios (maisons ou enseignes ayant pignon sur rue) où s’active une faune des plus bigarrées, mais toujours surprenantes. Là, entre deux parties de jeux vidéo (pour certains) ou obligations familiales (pour d’autres), de très laborieuses fourmis noires, blanches ou latinos (le hip-hop est un vrai trait d’union interethniques: premier rappel) échafaudent des beats dantesques et montent leurs lignes de basses à une hauteur d’échelle sismique (normal), passent des heures à confectionner une boucle, à fouiner les bacs à la recherche de la perle rare (quelques secondes de matière sonore brute) à sampler, et à asticoter l’arrangement qui tue entre trois couches de synthés élagués ! Ça mélange, triture, (re)calibre au moyen de toutes les techniques de découpage/séquençage/montage dernier cri, mais ces producteurs/ingénieurs/petites mains (…) se dédoublent dans la plupart des cas en musiciens accomplis de studio qui ajouteront des kilomètres de musiques organiques - ou jouées avec de « vrais instruments » - à leur raout de sons en chantier (deuxième rappel : se méfier de l’origine supposée 100% synthétique de certains types musicaux). Ingénieur du son discret, mais figure incontournable et omniprésente de cette fourmilière souterraine, Richard « Segal » Huredia fait à la fois office de sésame et de guide de luxe dans des temples rarement exposés aux regards médiatiques où s’entassent technologie dernier cri et assemblages maisons et joue les précieux intermédiaires entre les Français et quelques acteurs et personnalités-clés du microcosme californien. Défilent ainsi DJ Muggs, Will.I.am, DJ Babu (…) qui s’expriment avec franchise (parler dollars n’a dans ce contexte rien de honteux) et clarté (aucune notion technique n’est (pré)requise) et font valoir une série de points de vue propres allant d’aspects purement techniques (les trucs et astuces pour obtenir un beat/son explosif, capter un flow, trouver le point de chute ou déterminer le moment où un disque est fini…) à des considérations plus générales (comment se positionner dans l’après âge d’or…).
snoop Deux perles à épingler : un Snoop Dogg s’épanchant avec sérieux sur la forte teneur en funk 70’s de son hip-hop, à mille lieues de son image de maquereau enfumé; et dans les bonus, une comparaison « en direct » des différences de textures entre son analogique et digital, dans une amusante partie de ping-pong machines se renvoyant à l’infini de courtes séquences sonores à chaque fois légèrement divergentes.

Si l’enthousiasme et la passion qu’éprouvent Giffard et Tissier à l’encontre de leur sujet viennent booster sans jamais l’entraver la rigueur explicative d’un documentaire comme on en voit que trop peu, West Coast Theory est aussi quelque part le testament d’une époque (quasi) révolue. Aujourd’hui, crise du marché du disque et changement des habitudes de consommation aidant, la plupart des grands studios ont mis la clé sous le paillasson et ceux qui survivent le font au prix d’un repli sur des structures de plus faibles dimensions (home studio, label indépendant). Glissée aux deux tiers du film, une lapalissade prend un sens tout particulier : « si plus personne n’achète de disques, il n’y aura plus personne pour en enregistrer ! ». Logique et fatal !

Yannick Hustache

 

 

Sélec 8

 

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