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Pointculture_cms | critique

MEMORIES OF THE FUTURE

publié le

Dystopique et sombre, Memories of the Future propulse le dubstep dans le brouillard d’un futur incertain et angoissant. Ralenti à l’extrême, suffocant et moite, c’est un album qui prend ses distances avec le genre pour développer une approche […]

Avant de sortir cet album, Kode9 était avant tout connu comme le patron du label Hyperdub, fer de lance d’une musique urbaine britannique alliant le dubstep, le grime et d’autres genres encore parmi les plus en vue des nouvelles déclinaisons de ce que l’écrivain et journaliste Simon Reynolds appelle le « continuum hardcore ». De remaniements en remaniements, de durcissement en ralentissement, puis de relâchement en accélération, de la jungle au dubstep, du techstep à la drum’n bass, l’énumération des formes serait trop longue. Le genre est en continuelle mutation et cet album vient encore bouleverser les codes nouvellement appris pour y apporter un contenu, une substance, plus dense qu’auparavant. Steve Goodman, l’identité civile de Kode9, est également l’auteur d’une somme de textes, rassemblée sous le titre Sonic Warfare, Sound, Affect, and the Ecology of Fear, dans lesquels il analyse les applications militaires, policières, ou encore terroristes, du son et examine la relation entre le son et le pouvoir, le tout dans une optique scientifique et philosophique qui fait la part belle aux théories de conspiration les plus paranoïaques (mais pas moins réelles pour autant). Son album Memories of the Future, réalisé avec le concours vocal de Stephen Samuel Gordon, ici sous le nom de The Spaceape, prolonge ces interrogations au travers de textes à la rhétorique techno-scientiste (« Thru science we find alliance to endure reality ») d’une paranoïa extrêmement réjouissante, typique des littératures et des musiques afro-futuristes. Empruntant à la science-fiction la plus sombre, ils développent des climats menaçants, inquiétants autant qu’inquiets (le morceau « Sine » est une révision d’un des morceaux les plus anxieux de Prince, « Sign “O” The Times » et de son cortège d’angoisse : la drogue, la violence, la peur de l’avenir : « Some say a man ain’t truly happy until a man truly dies »). Ces terreurs hallucinées empruntent des formes innombrables, le péril est partout, diffusé de manière virale, sonore, électromagnétique, la contagion est d’origine extraterrestre (« We are hostile aliens, immune from dying ») mais aussi et surtout humaine (le morceau « Kingston » est un portrait sans concessions de la violence quotidienne qui semble entraîner la ville vers le fond). Le monde est impossible à comprendre, à assimiler, à tolérer, et la seule échappatoire est dans la création, la vérité est à chercher, selon leur propre formule, « quelque part entre le mensonge et la fiction » (« The truth lies somewhere between a lie and a fiction »). Les textes sont récités lentement avec l’emphase qui convient à des textes prophétiques, oraculaire, dans un anglais imprégné de patois jamaïcain, rappelant parfois le parlé-susurré de Tricky, ou le toast incantatoire d’un Mutabaruka. Dystopique, tourmenté, rendu flou et fuyant par les stupéfiants comme par la frayeur, aveuglé par sa propre clairvoyance, le monde de Kode9 est baigné d’une lumière sombre, noyant les formes et les couleurs. L’atmosphère musicale en est elle aussi pesante, oppressante et pourtant irrésistiblement addictive. Kode9 nous balade dans des paysages lourds et moites, tout en basses de plomb et en effets hypnotiques. De par sa forte personnalité et son attention maniaque pour toutes les facettes de sa musique (concept, textes, sons, productions), il a non seulement haussé la barre de l’exigence de plusieurs crans pour les musiciens de dubstep, mais aussi encouragé par l’exemple l’impératif d’une musique s’écartant des formules génériques et des réalisations sans imagination.

Benoit Deuxant

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