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Pointculture_cms | critique

B-MENGE

publié le

En dépit de sa discrétion et de son relatif anonymat auprès du grand public, Asmus Tietchens est un personnage-clé de la scène électronique allemande. Il a publié, en près de trente ans de carrière plus de nonante albums sous différents pseudonymes. […]

Actif dans la scène musicale de sa ville de Hambourg depuis le milieu des années 1960, Asmus Tietchens a toutefois attendu près de quinze ans avant de sortir le moindre disque sous son nom, considérant que ses compositions ne le méritaient pas encore. Arrivé à la musique via la radio des années 1950, il se dit plus inspiré par la musique électronique de Stockhausen ou la musique concrète de Schaeffer que par le rock ou le jazz. Mais il s’est longtemps senti indigne de ses maîtres à penser et a cultivé depuis lors un profil extrêmement confidentiel. Ce n’est que lorsque le punk et la musique industrielle lui feront reconnaitre l’intérêt du DIY et l’importance d’une vision personnelle, non académique de la musique, qu’il se décidera à publier ses travaux, compensant ces premières années (qu’il continue à regarder avec méfiance) par un flot ininterrompu de parutions en tous genres sur des dizaines de labels différents (sans compter les autoproductions). Une profusion à laquelle doivent s’ajouter les albums de son projet « avant-lounge », Hematic Sunsets, ainsi que de nombreuses collaborations avec des musiciens tels que Okko Bekker, David Lee Myers, Vidna Obmana, Felix Kubin, Thomas Köner ou Richard Chartier. Tout en restant immédiatement reconnaissable, sa musique va d’expérimentations avoisinant la pop (de manière très approximative, de son propre aveu) à des compositions électroniques minimales et ascétiques. La série – menge, indexée selon les lettres de l’alphabet grec, reprend ce qui représente sans doute ses compositions les plus abstraites.
Quoique difficilement classable, la musique d’Asmus Tietchens montre la double influence de l’électronique académique des grands studios des années 1950 et1960, et de la scène allemande des années 1980 (il fera brièvement partie du groupe Liliental avec Dieter Moebius et Okko Bekker, et participera aux enregistrements de Cluster & Eno, la rencontre entre le duo et Brian Eno). Il entame la série – menge en 2000 sur le label Ritornell, une subdivision du label Mille Plateaux, avec la première lettre, Alpha-menge. Accompagné, comme chacun des futurs volumes de la série (et beaucoup d’autres de ces compositions), par une citation du philosophe pessimiste E.M. Cioran, le disque présente trois plages ascétiques, résolument électro-acoustiques, dont ont désormais disparu toute allusion à la pop et toute filiation avec le rock. Les volumes suivants poursuivront sur ces prémisses, évoluant au fil des ans avec le matériel, avec les méthodes de production, même si Asmus Tietchens continue à mêler dans son travail matériel numérique, informatique, et instruments analogiques, synthétiseurs et bande magnétiques. Le deuxième volume, Beta-menge, est constitué de pièces relativement plus courtes (à l’exception de deux compositions de 16’ et 12’), qui portent toutes, comme sur le premier album, le titre Teilmenge (qu’on peut traduire par « partie » ou « sous-ensemble »), suivie d’un numéro. En choisissant d’utiliser pour elles ce titre de travail et ce numéro d’ordre, Tietchens leur conserve leur mystère, refusant de les colorer par une dénomination plus significative, et risquer ainsi d’en orienter l’écoute. Ses longues pièces sans concessions, d’une élégance distante et parfois austère, se développent selon leur logique propre, traversant des étendues glacées de fréquences aiguës et suraiguës, ou des océans de drone synthétique à peine perturbés par de furtifs mais intrigants micro-événements. Elles font intervenir des éléments « réels », samples, objets, field-recording, mais en en masquant chaque fois radicalement la provenance, déconnectant une fois de plus l’auditeur de toute allusion à la réalité, et lui refusant toute explicitation. Elles réclament à ce dernier un certain effort de patience et d’imagination, largement récompensé par la beauté dissimulée dans ces compositions.

Benoit Deuxant

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