MEXICAN BOLEROS. SONGS OF HEARTBREAKING, PASSION & PAIN
Comme beaucoup de styles musicaux, il est fort malaisé de déterminer l’origine exacte du boléro mexicain. Il serait dérivé pour les uns du boléro cubain, qui apparaît à la fin du XIXe siècle, comme variante binaire et syncopée du boléro espagnol. Selon d’autres, il serait inspiré directement de ce dernier. D’autres encore parlent de génération spontanée… Une chose est sûre, ses premières armes et ses premières heures de gloire eurent pour décors les multiples bordels et maisons closes de Mexico City, dans les années trente. C’est pour cette clientèle exclusive de mélomanes que se développèrent ces chansons déchirantes d’amours malheureuses, de frustrations, de jalousies latines. Emballées dans une tristesse stylisée, dans une mélancolie fataliste, ces chansons ont toutes le même thème: la femme. Mais pour les «boleristes», la femme, forcément fatale, est une maîtresse terrible et sans cœur, démon dont l’homme est la victime, l’esclave volontaire, prisonnier du jeu cruel d’une relation sadomasochiste et fétichiste. Cette réputation de musique de bordel, aux textes douteux et au « goût dégénéré », ne plut évidemment pas à la censure moraliste effrayée par cette glorification des pulsions morbides et des dérèglements passionnels. Poursuivi par cette mauvaise réputation, les musiciens n’avaient pas la vie facile, d’autant plus que leur métier leur faisait partager la vie dangereuse du demi-monde et de la pègre, avec pour conséquence une longue histoire de morts violentes.
Malgré ces multiples obstacles, le style nouveau connaîtra un tour imprévu lorsque, vers 1923, les stations de radio naissantes adopteront le Boléro et le transformeront en un succès instantané sur tout le continent, des pampas argentines jusqu’à New York. Ce succès attirera vers Mexico de nouvelles têtes, de jeunes aventuriers de la musique qui viendront tenter leur chance dans la capitale afin de partager les retombées du boom économique mexicain de 1930. Ils auront l’exclusivité de nouveaux lieux, de nouveaux dance palaces, de cabarets chics comme le Versailles ou le Waikiki, où la bonne société venait goûter au nouveau genre. Mais c’est toujours dans les bas-fonds que se trouveront les vrais palais du boléro, comme le Salon Mexico, loti entre les bouges et les soupes populaires. C’est là que les vrais aficionados venaient s’encanailler, avec le frisson supplémentaire du danger.
Le boléro connut également un triomphe au cinéma, avec des films adaptés de ses thèmes favoris, rempli d’un arsenal de prostituées au grand cœur, d’amants rejetés, de crimes passionnels… et de cow-boys lorsqu’il devint la musique de fond obligatoire du western mexicain. Les années cinquante, par contre, verront la fin du boléro, progressivement transformé sous l’influence du filin cubain, puis finalement remplacé par le mambo, puis le cha-cha-cha.
Le label Trikont nous propose de parcourir ce pan de l’histoire de la musique à travers les airs du légendaire « compositeur pour maison close » Augustin Lara, de la « tropical queen » Toña La Negra, du « ténor des continent » Pedro Vargas, les entrelacs du trio de guitaristes « Los Tres Ases » et d’autres superstars d’une époque révolue, d’un Mexique clinquant et pathétique à la fois. [retour]
Benoît Deuxant