BORN LIKE THIS
À l’écoute du très attendu nouvel album de (MF) Doom, on pense à cette remarque usuelle des Comic books, préludant à un pétage de plomb qui rompt avec la monotonie de série(s) où il ne se passe plus grand-chose : «les héros sont fatigués ! ».
Dans le monde du hip-hop, survolant la zone floue séparant l’underground du mainstream MF (pour metal face) Doom jouit d’un crédit équivalent à celui du Docteur Doom dans l’univers des comics, auquel il a emprunté à la fois son patronyme et le masque de métal qui ne le quitte jamais. Souverain de Latvérie, un micro-État imaginaire d’Europe centrale, Doom ou Fatalis (dans sa traduction française) fait partie de ces premiers personnages de la Marvel Comics (X-men, Spider-man…) qui, bien que clairement identifiés comme vilains (il est l’ennemi des 4 Fantastiques), basculent à l’occasion (selon que leurs intérêts soient menacés) dans le camp des héros. Il eût même, peu après sa création (1962), droit à sa propre série qui se jouait avec malice des codes du bien et du mal en vigueur à l’époque.
À l’inverse, celui qui répond au nom de Daniel Dumile pour l’état civil n’avait jusqu’ici montré que le profil du type à qui tout semblait presque réussir, à l’exception notable d’un hit de puissance mondiale. Une batterie de disques et maxi sous son pseudo principal (dont l’essentiel Operation Doomsday en 1999), une kyrielle d’autres, à chaque fois sous des noms d’emprunt (Viktor Vaughn, Kin Geedorah), et des collaborations remarquées et remarquables (Madvillain, né d’une joint venture avec Madlib et Dangerdoom, résultat de son association temporaire avec l’ubiquiste Danger Mouse), payées d’une reconnaissance quasi unanime de ses pairs et du milieu musical en général, et auréolées d’un remix signé de la main de saint Thom (Radiohead) Yorke.
Une belle revanche pour cet hyper productif et exilé Anglais qui, sous sa dégaine de super-vilain trouble, s’impose dans le deuxième round d’un match qui l’oppose à l’industrie du disque, la première manche livrée dans sa jeunesse sous l’étiquette KMD (89-94) l’ayant laissé SDF, amer et brisé à la suite du décès accidentel de son frère en 1993.
Mais là, malgré un casting de rêve (des biens vivants Raekwon & Ghostface du Wu Tang Clan, lui aussi planqué derrière le pseudo super-héroïque de Tony Stark, Madlib, Jack One… aux « passés à la postérité de l’échantillonnage », J. Dilla et même Charles Bukowski!), Born Like This manque au final, à l’image de son auteur qui se fait discrètement remplacer sur scène par des doubles, d’incarnation et de constance. Le flow, bien rugueux et strictement arc-bouté à ses lignes de force narratives est toujours d’une précision sans faille et MF Doom continue de rappeler à l’auditeur où il a fiché ses oreilles via l’auto tune (citation) presque systématique, mais sa foudroyante maîtrise de la boucle musicale tourne ici et là à vide ou pire, charrie même quelques désagréables courants d’air. « Lightworks » et son sample de sirène ressemble à un collage mal embouché et creux, les violons en sirop et tics sonores de blaxploitation éculée d’« Angelz » ont le goût frelaté des émotions « Bigger than life » des blockbusters hollywoodiens alors que « Bumpy’s Message » & « Thank Ya » concluent le disque sur deux instrumentaux queue de poisson faiblards!
Heureusement, notre « Villain » conserve encore quelques maléfices dans son sac à malice: une scie tourneboulante jusqu’à l’obsession (« That’s That »), un quasi-court-métrage audio qui fait l’économie des images (« Supervillainz ») et un autre qui en génère des tonnes sur ses seules forces (« Cellz »), sans oublier quelques titres tire-fesses irrésistibles (« Still Dope », « Gazzillion Ear »), histoire de remuer autre chose que de noires pensées.
Un retour en demi-teinte donc mais qui selon la logique propre aux Comic books appelle déjà à un désir de revanche. « Normal - diront certains - il est né comme ça ! »
Yannick Hustache