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Pointculture_cms | critique

ROUTE 181, NORD

publié le

Sélection du mois d'octobre 2005 > Gros plan sur...

 

Eyal Sivan (Palestinien) et Michel Khleifi (Israélien) ont déjà à leur effectif pas mal de documentaires et de fictions de qualité sur les problèmes israélo-palestiniens, qu'il s'agisse de cohabitation entre Juifs et Arabes ou du procès d'Adolf Eichmann (l'ancien chef de la sécurité intérieure du Troisième Reich qui était chargé de la déportation des Juifs).
É té 2002, ils décident de s'associer, de mettre leur regard documentaire en commun et de parcourir une route qui sépare leur pays en deux états ennemis. La route n'est pas choisie au hasard : ils vont arpenter la route 181. Ce chiffre est le matricule de la résolution de l'ONU de 1948 qui partageait la Palestine en un état juif, un état arabe et une zone internationale pour Jérusalem et les lieux saints. Une frontière virtuelle, un fil ténu qui part de l'extrême sud pour aboutir à la frontière libanaise au nord du pays. Une marque rouge sang sur une carte. Un partage qui ne mettra (jamais) personne d'accord.
Munis d'une carte d'époque, ils vont partir à la recherche d'anciens villages. En lieu et place, ils tombent la plupart du temps sur des lieux vides, dépossédés de leur nom. Parfois il reste juste un amas de pierres, seul souvenir du passé, une trace qui rappelle que le temps et l'expropriation ont fait leur œuvre insidieusement. Parfois, ils doivent faire face à une véritable ignorance de l'existence d'avant, ignorance qui tourne même parfois au déni.
Cette traversée sera bien sûr aussi faite de rencontres, qui donneront lieu a des moments de vie à peu près normaux pour les habitants, mais ubuesques pour nous. La normalité n'a pas sa place dans un pays en guerre.
Chaque instant de la vie est une épreuve, une confrontation. Que ce soit lors d'une manifestation pacifique qui réunit les deux peuples, où dans le simple fait de devoir passer par un check-point pour une raison ou l'autre (pour se rendre à un mariage, pour son travail…). Ces postes-frontières sont le théâtre d'un jeu du pouvoir que certains soldats prennent un malin plaisir à exercer, un jeu de forces dont personne n'est dupe. Certaines personnes font même des détours de plusieurs dizaines de kilomètres pour éviter de se faire recaler au barrage.
Dans ce petit manège, une caméra n'est pas bienvenue. Un ordre sempiternel est prononcé à chaque check-point par les gardes : « ne filmez pas ». Cela devient une ritournelle, un leitmotiv.
Bravant l'interdit, les deux comparses continuent à filmer en cachette. Alors on comprend le sens de cette interdiction : c'est l'absence de justificatif valable pour refuser le droit de passage; il ne faut pas qu'il y ait de témoins visuels de ces brimades aléatoires.
Tout au long du film, les deux réalisateurs gardent leurs réserves et leur sang-froid, excepté à un moment où, devant l'insolence d'un garde qui les appelle comme des chiens, un des deux craque et élève la voix. S'ensuit un dialogue musclé avec le garde sur les raisons de ses agissements. Cet incident nous permet de comprendre et d'imaginer le sort quotidien des Palestiniens, ce qu'ils endurent à chaque passage journalier. Et tout cela avec comme fond sonore le ballet incessant des avions de chasse. On tombe dans ce que la philosophe Hannah Arendt appelle « la banalité du mal », quand des gens « normaux » commettent des actes minimes qui, au final, font grand mal. Beau cas d'école.
Le paysage porte lui aussi les stigmates du conflit, une maison détruite à coups de canon ou de bulldozer, un mur interminable en construction, véritable balafre qui coupe tout l'horizon.
Ce mur nous rappelle tristement et froidement l'existence d'un ancien mur qui fut, lui aussi, érigé pour mieux séparer.
Cette route de la discorde se termine par une barrière, une de plus, celle de la frontière avec le Liban. C'est la fin de ce fragment de voyage qui est pour les auteurs, un véritable acte de foi cinématographique, une aventure humaine, une écoute attentive de l'autre, de ceux à qui on ne donne jamais la parole.
On en sort bouleversé, mais avec une vision plus claire du quotidien de ce pays divisé, où les frontières ne sont pas seulement sur terre, faites de barrages et de barbelés, mais aussi dans chacun de nous, dans l'inconscient, faites de cynisme et de préjugés.
Ce film est la preuve que la collaboration entre un Israélien et un Palestinien peut aboutir à autre chose qu'à une guerre inutile, qu'un dialogue et une vision commune sont possibles. Voilà déjà une bonne raison de visionner ce documentaire.

 

Filmographie :

 

Eyal SIVAN

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