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Pointculture_cms | critique

Rêve américain – « Minari », un film de Lee Isaac Chung (2020)

Minari
Le rêve américain d’une famille d’immigrants coréens isolée en Arkansas. Une histoire avec ses joies et revers, pleine de sensibilité.

Le film s’ouvre sur la fin d’un trajet, celui d’une voiture occupée par une femme d’origine coréenne et ses deux enfants, suivant un petit camion de déménagement conduit par un homme, son mari. La première chose que voit Monica (Yeri Han), c’est cet immense champ en friche perdu dans l’Arkansas et cette maison sur roulettes un peu délabrée. C’est là que son époux Jacob (Steven Yeun) les a emmenés pour construire son rêve : cultiver la terre et vendre des légumes coréens à une communauté qui est en pleine expansion à cette époque, sous l’ère Reagan. Le visage de Monica en dit long sur son état d’esprit : elle ne s’attendait pas à ça, et regrette que son mari ait investi toutes leurs économies dans ce projet. Elle préférait sa vie en Californie et espérait un futur plus citadin. Les époux reprennent le métier qui leur a permis de gagner leur vie jusqu’alors : ils trient des poussins selon le sexe dans un élevage de poulets, un de ces métiers souvent effectués par des immigrés de première génération, répétitif et peu gratifiant. Mais Jacob commence en même temps son métier d’agriculteur : il cherche d’abord un puits qui lui permettra d’irriguer les terres, refusant les services d’un local qui sait où trouver l’eau en sondant le terrain à l’aide d’un bâton, chose un peu mystérieuse et divinatoire en laquelle Jacob ne croit pas. Il préfère utiliser son cerveau. Il reçoit très vite l’aide de Paul, un excentrique religieux, priant à tout moment, et souhaitant exorciser les lieux (le précédent propriétaire s’est suicidé).

La vie reprend son cours, Monica s’occupe de ses enfants, Anne (Noel Kate Cho) et David (Alan Kim), surveillant de près la santé de son fils. Le petit garçon de sept ans a en effet une malformation au cœur et ne peut pas faire d’exercice – ce qui est bien difficile quand il y a de si grandes étendues pour courir. Les tensions montent dans le couple, et Monica décide de faire venir sa mère, Soon-ja (Youn Yuh-jung), de Corée pour s’occuper des enfants et être moins isolée. Quand celle-ci déballe ses valises, Monica a la larme à l’œil, émue de l’attention qu’on lui porte enfin, en voyant les grands sacs de poudre de piment gochujang et les anchois séchés, des condiments quasi introuvables dans la région. Mais le petit David ne voit pas cette grand-mère d’un bon œil : « Elle pue la Corée ! », « Elle ne sait pas préparer des cookies ! ». Soon-ja n’est sans doute pas l’aïeule typique ; elle n’a pas sa langue dans sa poche et son attitude franche apporte des moments plein d’humour dans le film, proches parfois de scènes de sitcom quand le petit David se venge des potions aux plantes qu’elle lui fait ingurgiter. Leur relation va pourtant évoluer et ils vont devenir complices.

Soon-ja a également apporté des semences d’une herbe coréenne, le minari, un genre de céleri ou persil aquatique (oenanthe javanica) utilisé comme condiment dans la cuisine – et qui donne son titre au film. Lors de ses explorations avec David, elle trouve l’endroit idéal pour en semer, sur les berges d’un ruisseau, sous les arbres. Cette plante pousse une première année, puis meurt complètement avant de revenir l’année suivante avec force. Ce qui est aussi l’histoire du film.

Jacob est en effet confronté aux aléas de la vie d’agriculteur, à la sécheresse, à l’argent qui vient à manquer… L’histoire renvoie à celle des pionniers, à La Petite Maison dans la prairie – une scène tout au début du film montre le questionnement de Monica quant au choix de l’endroit, Jacob se baisse et prend une motte de terre en main, lui expliquant qu’elle est idéale pour ses projets de culture. Le réalisateur Lee Isaac Chung s’est inspiré de sa famille coréenne-américaine qui avait émigré en Arkansas et a voulu transmettre des bribes de son passé. L’essentiel des scènes se passe sur les terres de Jacob et Monica, ou dans leur maison, mais il y a aussi quelques incursions dans la vie locale, notamment avec ce passage à l’église où la communauté les accueille d’une manière un peu maladroite. Il y a des regards appuyés, quelques touches de racisme exprimées ouvertement par les enfants mais sans que ce sujet ne soit exploité plus loin dans le film.

Lee Isaac Chung raconte l’histoire du rêve américain, mais aussi d’un couple en crise, d’une femme qui, par tradition, se met en retrait pour soutenir son mari contre vents et marées même si elle doute beaucoup. Cette tension entre les époux est palpable durant tout le film mais les épisodes comiques entre Soon-ja et son petit-fils sont autant de moments de répit. Anne, l’autre enfant, la grande sœur, est un personnage assez effacé, peu exploité dans l’histoire, sauf à ce moment où, lors d’une dispute entre les parents, elle prend l’initiative de fabriquer et d’envoyer dans l’autre pièce des avions en papier sur lesquels est écrit « Ne vous disputez pas ».

Chung filme la prairie, les légumes qui poussent, mais aussi l’intérieur un peu glauque de la maison. Ses images sont ponctuées par la composition orchestrale d’Emile Mosseri où dominent instruments à vent, piano et guitare. Cette musique aérienne soutient les émotions des images, la nostalgie et la tristesse mais aussi l’espoir et l’optimisme.

L’histoire est au final assez simple, mais elle renvoie aux grands événements de la vie, et elle est filmée avec délicatesse et sensibilité, sans excès. Un beau film qui touchera les cœurs sensibles et les amateurs d’histoires familiales.


Texte : Anne-Sophie De Sutter


Agenda des projections :

Sortie en Belgique le 30 juin 2021, distribution : September Films

En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes:

Ath, L'Ecran

Bruxelles, Cinéma Galeries

Bruxelles, Kinograph

Bruxelles, UGC Toison d'Or

Bruxelles, Vendôme

Liège, Le Churchill

Liège, Le Parc

Liège, Sauvenière

Mons, Plaza Art

Namur, Cinéma Caméo

Nivelles, Ciné4

Waterloo, Wellington

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