LOST WISDOM
On croyait avoir perdu la trace de Phil Elv(e)rum dans un épais brouillard qu’il avait lui-même grandement contribué à lever. On doit sa sortie à l’action bienfaitrice d’une fée clochette (?) aux charmes insoupçonnés, Julie Doiron. Magnifique !
Si la musique a besoin d’auditeur(s) pour exister, on aimerait dire que les quelques inconditionnels de Mount Eerie sont les plus persévérants qui soient. Car depuis sa première apparition sous le patronyme impersonnel de (The) Microphones sur le label K Records (Kimya Dawson, Calvin Johnson), le dénommé Phil Elverum, parfois orthographié Elvrum, fait tout le contraire du reste de la planète musicale à l’heure de l’Internet qui se cherche des amis tout autour du globe et tente le banco d’un hit mondial d’entrée de jeu. Au contraire, ses pages Myspace (il en existe deux) sont un modèle de simplicité et son site perso (http://www.pwelverumandsun.com/) taquine The Silver Mt. Zion (…) dans les appellations changeantes et à rallonges. Un domaine virtuel sobrement, mais joliment, architecturé mais où une patience d’ange est requise d’emblée. Ce voyageur invétéré (photos à l’appui) qui déménagea un temps en Scandinavie est d’une prolixité encore très raisonnable mais le catalogue à disposition alterne rééditions (LP et CD) et travaux récents (pareil), auxquels s’additionnent un paquet de projets parallèles (livres-CD), d’albums live en quantités limitées et des pressages rares de quelques-uns de ses amis (les excellents Woelv), sans oublier un florilège d’EP d’habillages variés… dans une présentation d’une lisibilité toute relative (on peut aussi acheter les œuvres artistiques du bonhomme un clic plus loin) !
Si le passage de Microphones à Mount Eerie s’est fait par simple commutation (Mount Eerie était le nom de la dernière plaque de The Microphones et Elverum le pivot central de ces deux formations), le flux musical reliant ces deux entités est sensiblement resté le même. Une pop lo-fi introvertie, susurrant sa tristesse du bout des lèvres, mais trouvant le chemin d’une inconsolable quiétude en coupant à travers une purée de pois d’effets sonores grésillants ou en s’accrochant à quelques minces branchages électroniques. On ne comprenait pas tout, mais l’empathie immédiate était si forte que certains ont même parlé d’envoûtement à son endroit.
Et puis aux premières notes de Lost Wisdom, son dernier disque, on se prend de plein fouet la nudité presque sacerdotale de la voix d’Elverum. L’amplification a été ramenée à son seuil minimum et deux sobres guitares électriques, entourant une consœur acoustique, dessinent seules le cadre resserré de ces 25 petites minutes d’une miraculeuse et féconde humilité. Batterie et boîte à rythmes n’ont pas été conviées au raout, mais Fred Squire et surtout Julie Doiron suppléent à tous les manques (mais lesquels ?), faisant de chaque chanson à la fois un archétype folk intemporel nimbé d’une austérité rayonnante (tous les titres sont des duos à deux voix) et un vecteur transmetteur de chair de poule d’une insoupçonnable efficacité.
À s’injecter aussi régulièrement que possible, et avec en priorité « Voice In Headphones », « Who ? », « Grave Robbers ».
Beau à doses homéopathiques. Addictif à posologie supérieure !
Yannick Hustache
A écouter également :