« My Salinger Year » : un film de Philippe Falardeau
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Faire carrière à New York
Près d’une décennie après Monsieur Lazhar, Philippe Falardeau porte à l’écran une adaptation éponyme du livre de Joanna Smith Rakoff, My Salinger Year. Rédigé sous la forme de mémoires, l’ouvrage retrace le parcours de la future romancière au sein d’une agence littéraire new-yorkaise dont le client phare n’est autre que J. D. Salinger.
Bien qu’il situe son action au milieu des années 1990, le récit original s’inscrit dans la lignée de prédécesseurs tels que The Best of Everything de Rona Jaffe ou encore My Sister Eileen de Ruth McKenney. Issues d’autrices d’un autre temps, ces œuvres ont en commun la mise en scène de jeunes femmes, pour la plupart férues de belles lettres, venues tenter leur chance dans la grande pomme. Un corpus – loin d’être exhaustif – qui constitue désormais un genre en soi.
Si l’histoire contée par Joanna Smith Rakoff semble faire écho à une époque désormais révolue, c’est qu’elle parvient à capter l’essence de ce tournant de XXIème siècle, entre vénération pour les grands maitres défunts – ou en passe de l’être, à l’image de J.D. Salinger –, lesquels sont constitutifs d’un patrimoine, et circonspection à l’égard de la nouvelle génération d’auteurs qui, quant à elle, représente essentiellement un marché pour les acteurs de l’industrie.
Dans la version cinématographique de Philippe Falardeau, le personnage de Joanna (Margaret Qualley) se voit happé par cet entre-deux temporel, caractérisé à l’image par la réticence technophobe de sa patronne (Sigourney Weaver) à abandonner la machine à écrire pour l’avènement de l’informatique, pourtant en voie de généralisation au sein des milieux professionnels de l’ensemble du monde occidental.
Dès lors, c’est au sein de ce cadre quelque peu anachronique que la Joanna Rakoff de Philippe Falardeau évolue, écartelée entre ses aspirations d’écrivaine et la nécessité universelle de subvenir à ses besoins les plus élémentaires. En s’engageant avec A&F Management, elle entretient l’illusion de s’approcher tant bien que mal de son objectif, là où, en réalité, elle s’enferme dans une routine alimentaire qui ne lui laisse aucune chance de faire de l’écriture sa priorité.
« Cette ligne de fracture quelque peu caricaturale entre passion naïve et cynisme mercantile, bien qu’elle s’affirme comme le ressort principal du film, n’est pour autant pas employée à si mauvais escient. — »
Désenchantement professionnel
Nonobstant quelques variations, Joanna reproduit à l’identique le schéma l’ayant poussé à abandonner ses études et son existence californienne : c’est d’une volonté de ne plus passer son temps à analyser le travail des autres qu’elle décide de déménager sur la côte Est afin de jouir des conditions (qu’elle présume) favorables à l’épanouissement de sa propre production.
Finalement cantonnée à un rôle de secrétaire chez A&F, la jeune femme interprétée par Margaret Qualley apparaît comme la personnification du dilemme existentiel généralement dévolu aux artistes, a fortiori au sein d’un carcan productiviste qui n’a pas particulièrement vocation à rémunérer le temps de création de celui ou celle qui n’a pas encore fait ses preuves, au sens capitaliste de l’expression : The winner takes it all.
Et comme le lui fait remarquer sa cheffe – une femme de pouvoir ayant roulé sa bosse dans l’univers désenchanté de l’industrie littéraire –, les écrivains font les pires assistants. Cette ligne de fracture quelque peu caricaturale entre passion naïve et cynisme mercantile, bien qu’elle s’affirme comme le ressort principal du film, n’est pour autant pas employée à si mauvais escient. Le Canadien à la double casquette de réalisateur et de scénariste semble lui-même s’amuser de la fausse ingénuité de sa protagoniste qui, toute inconséquente que paraisse sa démarche, n’en a pas moins la conscience aigüe de contribuer à nourrir le stéréotype de l’aspirant écrivain hantant en vain les cafés de Manhattan.
Au-delà des velléités personnelles de Joanna Rakoff à faire advenir sa carrière d’écrivaine en dépit de conditions matérielles d’existence précaires, cette antinomie s’épanouit à travers ce qui constitue la principale pierre d’achoppement de l’histoire : J.D. Salinger – client majeur de A&F – ne daigne plus répondre personnellement au courrier de ses fans… depuis 1963. C’est donc à la nouvelle assistante qu’échoit cette tâche, mission d’autant plus ingrate qu’elle n’est autorisée à l’accomplir que par le biais de lettres types désincarnées visant à consolider la réputation d’ermite du célèbre auteur de The Catcher in the Rye (L’Attrape-cœurs, en traduction française).
Un livre intemporel qui, quarante ans après sa parution, suscite encore de véritables obsessions parmi les contemporains de Joanna Rakoff. Dès lors, c’est en vue de rapporter les écrits, non pas à leur prestige symbolique, mais davantage aux effets qu’ils produisent sur leurs lecteurs, que le personnage de Philippe Falardeau outrepasse le cadre de ses prérogatives de simple assistante pour se muer en interlocutrice privilégiée des admirateurs du grand J.D. Salinger...
Simon Delwart
Crédits images : Paradiso Films
Agenda des projections
Sortie en Belgique le 25 août 2021.
Distribution : Paradiso Films
En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes :
Bruxelles : UGC Toison D'Or
Charleroi : Quai10
Liège : Le Parc, Sauvenière
Namur : Caméo
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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