CITIES AND GIRLS
Après avoir collaboré pendant des années au sein du projet “miasma”, Myra Davies et Gudrun Gut se retrouvent ici à nouveau pour de nouvelles aventures, sous la forme d’un album de Myra Davies: “Cities & Girls”. L’artiste canadienne tente d’expliquer ce renoncement au pseudo «miasma» comme un changement d’orientation musicale, une recherche de nouveaux climats, moins durs, moins rigidement techno. On peut contester d’une part que «miasma» ait jamais été un projet techno, et d’autre part que cet album marque un grande différence musicale. Mais la question n’est pas là, c’était aussi et surtout le prétexte à multiplier les collaborations, les invitations, au-delà du duo original. Pour réaliser ce disque, Myra Davies s’est entourée de Gudrun Gut, donc, qui signe toujours la majeure partie des musiques, et produit l’album, mais également des fidèles complices de celle-ci, confrérie flottante et berlinoise qu’on retrouve sur les albums de Gudrun Gut, comme sur ceux du Ocean Club, ainsi que sur le label Monika Enterprise. Comme auparavant, ce nouvel album est constitué de vignettes, de courtes pièces de spoken word, mises en forme par des musicien(ne)s invités. Ceux-ci, de Beate Bartel à Danielle de Picciotto et Alexander Hacke, ont apporté un soin particulier à l’évocation géographique des Villes du titre (Hanoi au Vietnam, Doha au Qatar, Berlin en Allemagne, Belfast en Irlande), mais aussi d’époques différentes, les années soixante de « My Friend Sherry », les années 1900 de « Calgary ».
Une même atmosphère musicale, typique de la scène électronique berlinoise, parcourt tout l’album, lui assurant une grande cohésion. On y retrouve une électronique chaude, organique, comme on pouvait en trouver sur l’album «i put a record on» de Gudrun Gut, juste milieu entre techno, expérimentation, chanson et un certain confort lounge. La même formule fait ici encore merveille pour assurer un accompagnement ouaté aux textes doux-amers de Myra Davies. Celle-ci nous balade d’histoires de villes en histoires de filles. Une partie de l’album est ainsi composée d’instantanés, d’observations songeuses, recueillies de part le monde, et isolant, comme dans un conte Zen, des moments de grâce: une dégustation de café au Vietnam, un étrange ballet en noir et blanc, burkas et djellabas, dans un shopping-mall de Doha. Une autre partie du disque raconte des gens, brosse le portrait de personnages, toujours des filles, comme celui de 'My Friend Sherry', jeune fille morte dans les années soixante des suites d’un avortement clandestin. Davies raconte avoir ressenti l’obligation de raconter cette histoire, après avoir assisté aux campagnes anti-avortement de la droite américaine, notamment les déclarations tonitruantes de la vice-candidate heureusement malchanceuse, durant les précédentes élections américaines. Elle se devait de rappeler aux nostalgiques qu’« en ces temps-là, l’avortement illégal était une forme de roulette russe ».
Un des nombreux intérêts de cet album est l’usage qui y est fait de la citation, du sampling, et de la reconstitution. Afin de restituer les atmosphères correspondant aux différentes histoires, les musiciens ont eu recours à des détours ingénieux, évoquant le Vietnam par quelques notes de Dan Bau, un instrument à corde local, ou intégrant à leur composition des extraits de mélodies anciennes, vieil air irlandais pour «Belfast», reconstitution d’une mélodie des années 1910 pour «Calgary», citation détournée de «My Favourite Things» pour «Stuff». Elaborant leurs compositions autour de fragments, de citations, de détails symboliques, ils travaillent le son d’une manière répondant aux torsions que Myra Davies fait subir au texte. Elaborant en spirale, autour d’une base fragmentaire, pour obtenir ensuite une vue plus large, elle développe le point de départ dans des directions insoupçonnées et inattendues, partant par exemple d’une rencontre avec un ver de terre, comme sur «Worm», pour évoquer des chevaux, des batailles navales, et arriver au final à Jean Genet et Jeanne Moreau. D’association d’idées en association d’idées, et de fil en aiguille, le texte serpente au travers d’analogies surréalistes, mélangeant réminiscences personnelles et culture pop. Et comme Myra Davies le dit elle-même: “That’s the problem with pop culture, it keeps on popping up. “
Benoit Deuxant