EVERYTHING IN BETWEEN
« Tout se joue au centre » pourraient paraphraser quelques politiques belgo-belges en mal de slogans imaginatifs (?) et attractifs. Pour le duo US, c’est plutôt une vaste zone franche et instable vers où convergent leurs coupables appétits contradictoires. Visite des lieux.
Alors qu’il y a belle lurette qu’on sait que le rock se pratique aussi bien en solitaire qu’au niveau de l’effectif d’une équipe de rugby (15 et plus…), la formule duo semble tout particulièrement prisée par les stakhanovistes zélés du rock bruitiste (noise, math, electro & Co, ils sont nombreux à participer au jeu des familles). Et, si l’année musicale dissonante 2010 avait éclos sous les décibels généreux des Canadiens de Japandroids (sorti en 2009 mais au décollage tardif), elle risque bien de se refermer sur le « vroom vroom » joliment électrifié du binôme No Age et de leur véritable second album: Everything in Between.
Complices, Dean Spunt (batterie, chant) et Randy Randall (guitare et bidouillages) l’étaient déjà dans Wives, une triangulaire punk localisée à Los Angeles où Spunt tenait la basse. Après un unique album (le très sarkosien Erect The Youth Problem) en 2004, mais sans mettre officiellement la clé de Wives sous le paillasson, les deux hommes embrayent No Age au prix d’un tour de chaise musicale. C’est que le L.A. du mitan des années 2000 compte alors un nouveau foyer sismique rock qui répond au nom de The Smell, et qui agit tel un électro-aimant pour toute une scène hétéroclite qui se dit punk dans la tête mais ne se sent nullement obligée de se saper de ses oripeaux vestimentaires ou musicaux les plus élémentaires. Et si la joyeuse effervescence libératoire et noisy qui secoue les No Age, Mika Miko, Abe Vigoda, Mae Shi, BARR et autres Health (déjà évoqués dans une Sélec précédente) n’est pas sans rappeler l’une ou l’autre bouffée de frénésie arty - les plus positives - qui s’empare de New York tous les 4-5 ans, l’esprit qui les anime fait davantage place à une dimension communautaire (concerts ouverts à tous et à tarifs modiques) et au sens de l’esthétisme : packaging soigné des Cd et vinyles, T-shirt au graphisme élaboré. Le Californian way of life est aussi passé par là !
Témoin de cette agitation, l’apparition d’une multitude de 45 tours et de EP en quelques mois, qui seront pour la plupart compilés sur un long format en 2007. Weirdo Rippers est pourtant considéré comme un véritable album où No Age coud dynamique punk et son lo-fi dans un rêche étui pop aussi effilé qu’efficace. Comme du Yo La Tengo sans fille (c.à.d. à 2 seulement) et un rien bravache, qui se soulagerait en direct de son complexe Ramones. Une cacophonie ordonnancée qui moleste gentiment, mais qui, à l’occasion, accouche d’une mélodie à demi imparable, d’un intermède samplé tout en finesse ou encore, fait se lever un épais brouillard de feedback à l’anglaise (école Jesus & Mary Chain). Nouns (2008), leur premier disque pensé comme tel affine le propos. Entre morceaux de bravoure façon jam sessions Hüsker Dü/Half Japanese, pop songs qui tirent la mèche new wave à l’anglaise, s’insinuent quelques instrumentaux qui jouent de malice pour instiller en douce leur proverbiale et addictive simplicité !
Logique donc qu’à leur troisième plaque, les Américains ne pratiquent plus le sprint qu’un coup sur deux, laissant s’exprimer d’autres nuances jusqu’ici non décelées de leur bien entortillé génotype musical. Le fantôme de New Order est dans la ligne de mire et, outre la similitude Dean Spunt/Barney Sumner (NO et aujourd’hui dans Bad Lieutenant) qui occupent tous deux une position de tête dans la catégorie à risques des chanteurs techniquement limités mais souvent très touchants, c’est une ligne de guitare « bassisée » jouée à la manière Peter Hook (à peine au-dessus du genou donc) époque Movement (1981), légèrement confite dans du larsen qui sert, à l’entame d’Everything in Between, de colonne vertébrale à « Life Prowler ». Et de poursuivre avec un pseudo hit (« Glitter») où se niche un gimmick « hookien » à peine travesti, renvoyant là à la seconde époque (Republic, 1993) des Mancuniens. L’épisode orageux qui leur succède (« Fever Dreaming », « Depletion », et plus loin « Sorts ») a, lui, une origine plus logique, l’indie pop US nineties à guitares de la trempe Sebadoh. Sans batterie. « Common Heat » est interlude feu de camp sans qu’aucun brasier (hippie ?) n’ait dû être allumé tandis que « Skinned » et « Karterpillar » exhibent une belle gueule d’atmosphère : le brouillard est tombé, et au loin résonne un écho shoegaze. Deux exemples qui prouvent à souhait que si No Age sait tenir les cadences sans accuser le coup, il excelle du plus en plus dans la prospection des zones frontières des domaines du rêve agité et de l’expérimentation sensorielle chimiquement assistée (« Valley Hump Crash », « Dusted », « Positive » « Amputation » au piano suspendu). Une dernière remontée du Celsius (« Shed & Transcend » avant un ultime pied de nez à leurs métronomiques débuts, avec un très relax (malgré le feu d’artifice) et bancal « Chem Trails », où nos compères semblent régler quelques comptes. Sans aigreur aucune, mais avec la joyeuse sincérité embrumée propre aux instants de confidences (tendrement) éthyliques…
La maturité sans âge ?
Yannick Hustache