« Nr.10 », un film d’Alex van Warmerdam
Dans un appartement à la décoration un peu vieillotte, un homme d’âge moyen s’installe à son bureau. Il est interrompu par une voix insistante de femme qui l’appelle depuis une autre pièce. Excédé, il termine son petit-déjeuner et part pour le travail en disant à peine au revoir à son épouse. Marius (Pierre Bokma) est acteur et doit répéter une pièce mais il n’arrive pas à retenir son texte – il ne dort plus, sa femme est gravement malade. Sur scène, il retrouve Günter (l’acteur flamand Tom Dewispelaere) qui n’en peut plus du jeu chaotique de son collègue. Le régisseur Karl (Hans Kesting) non plus d’ailleurs. La femme de celui-ci, Isabel (Anniek Pheifer), joue également dans la pièce, mais elle lui a annoncé qu’elle allait habiter quelques semaines chez leur fille, pour nourrir le chat. Ce qui est le moyen idéal pour cacher sa relation extra-conjugale avec Günter.
Le soir, elle s’introduit chez son amant, mais ce dernier attend sa fille Lizzy (Frieda Barnhard) et son compagnon et lui demande de se cacher dans la chambre pour ne pas ébruiter l’affaire. Lizzy interpelle son père à propos de l’étrange résultat d’un examen médical : elle n’a qu’un seul poumon et aimerait que son géniteur se fasse également ausculter. Celui-ci refuse net.
Les répétitions continuent, Karl chamboule les rôles de chacun. L’ambiance est tendue, anxiogène, haineuse même par moments, ponctuée par des moments à l’humour très noir. D’autres personnages apparaissent : un homme souffle quelques mots dans une langue inconnue à Günter, en rue. Un nouvel habitant s’installe dans la maison en face de celle de Günter et regarde un peu trop souvent par sa fenêtre. Lizzy s’inquiète et commence à surveiller son père sans qu’il ne s’en rende compte. Marius surprend le couple illégitime et décide de ne pas se taire, ce qui pousse Karl à suivre Günter pour avoir confirmation de la tromperie de son épouse. Une scène sortant un peu de nulle part montre un prêtre qui regarde le sport à la tv en mangeant, interrompu par son assistant.
Alex van Warmerdam a l’art de semer des miettes de pain. Si l’histoire semble banale au départ, autant d’éléments clairsemés ajoutent très progressivement une tension certaine au film, créant l’impression d’un thriller. Est-ce que tout ceci serait lié au fait que Günter a été retrouvé abandonné dans les bois étant enfant ? A partir de là, tout est possible, et ce serait dommage d’en raconter plus.
Réalisateur hollandais, Alex van Warmerdam a fait des études de graphisme et de peinture avant de se tourner vers le théâtre. Avec la compagnie Hauser Orkater, il a créé de nombreuses pièces qui proposaient un mélange absurde de théâtre, d’images et de musique pop plutôt excentrique. A partir de 1986, il a commencé parallèlement une carrière de réalisateur de films, eux aussi souvent très particuliers. Nr.10 est son dixième long-métrage – il n’y a d’ailleurs pas d’autre signification au titre.
A un moment donné des répétitions qui rassemblent Günter, Marius, Isabel et les autres, le régisseur décrit sa pièce comme un « collage abstrait sans logique ». Le film pourrait être résumé de la même manière. L’histoire prend une tournure assez particulière dans sa seconde partie et peut totalement dérouter le spectateur, ou au contraire profondément l’amuser et le passionner. Tout dépend sans doute de son degré d’ouverture et de sa capacité à se laisser entraîner.
Nr.10 donne une impression de froideur et de minimalisme. Les dialogues semblent stériles. Même quand ils ne répètent pas leur pièce, les acteurs ont l’air de réciter leur texte, du moins au début. Il n’y a aucune chaleur, aucun amour, aucune douceur. Au début de l’histoire, les personnages évoluent dans une zone limitée, de leur appartement à la salle de répétition. Les trajets se passent dans une banlieue qui semble abandonnée, près des quais, dans une zone semi-industrielle près du Canal de la mer du Nord. La météo nuageuse de l’hiver n’apporte pas plus de couleur. Malgré tout, on sent qu’une grande attention a été apportée à ces plans qui sont de toute beauté. La musique composée par Marc van Warmerdam ne rajoute pas vraiment de cohérence, elle est tantôt dissonante et peu agréable à écouter, tantôt très passe-partout, sans aucun lien avec les autres compositions. De tout ceci résulte un objet assez étrange qui cadre dans la lignée des films que réalise Alex van Warmerdam. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a aucune certitude et que rien n’est ce qu’il paraît.
Nr.10, Alex van Warmerdam
Pays-Bas – 2020 – 1h40
Texte : Anne-Sophie De Sutter
Crédits photos : Cinéart
Agenda des projections:
Sortie en Belgique le 9 mars 2022, distribution Cinéart
En Belgique francophone le film est projeté dans les salles suivantes :
Bruxelles : Flagey, Palace
Wallonie : Liège Le Churchill
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
Dans le même dossier :