JUMET-COTONOU
Olivier Andu propose une chanson de l'intime, sans impudeur. La pauvreté recherchée de moyens techniques (virtuosité musicale et technologie de production) n'est pas là pour délayer la chanson, faire de l'anti-chanson mais pour la condenser sur son filet de vie le plus nu et fragile, le plus vital. La fibre par où s'accrocher à la vie, continuer à aimer autour de soi. Cette fibre du rêve coïncide chez Andu avec le filet de son souffle chanté. Avec si peu de moyens, sa guitare acoustique et sa voix pudique, il est étonnant de voir à quel point il dessine des mondes amples, variés, pleins de reliefs et d'ombres mouvantes, comme des Andes nuageuses, mouvantes.
La pauvreté de moyens renforce le contenu qui semble être de chanter le désir en désarmant toute l'arrogance masculine (parfois jusqu'à une douce mortification !). On songe à un colosse tiré d'une fable à la Brassens mettant pied à terre devant sa frêle princesse. Car Andu tisse un univers courtois. Chanter l'amour de sa belle. Limite dépressif, sur le mode de l'amour impossible, du grand timide ou du grand blessé qui n'a pas pu se déclarer, convaincre, emporter. Limite dépressif, en demi-teintes mélancoliques, désespérance, glissant vers des résignations fleuries, rebondissant sur des mots et des images toniques puis vers des chansons traçant des échappées, des euphories gris perle. Comme quand, de l'amour inabouti, on rumine son échec et on le transforme en force inspirante pour chanter l'inaltérable, trouver un amour plus large tourné vers le monde, vers les autres, une illumination intérieure qui rendrait meilleur. « Une formule pour rendre le bonheur durable et l'amour inoxydable ».
Cet univers courtois, vaguement démodé, se mêle avec des regards sur des zones de non droits. Le Far West sans foi ni loi des quartiers difficiles, des magouilles entre sordide et splendide. Reflet d'une société de la violence, du viol (tout le contraire de ses chansons d'amour). Contraste entre onirisme sentimental et métaphore sociale cynique. Les deux s'alimentant (ce qui fait que le monde d'Andu est loin d'être aussi naïf et mièvre qu'on ne pourrait le croire à première écoute (il faut tendre l'oreille, on distingue des sentiments bafouillés).
Les chansons d'amour tissent leur chemin dans une certaine grisaille, comme une atmosphère saturée de faits divers délétères, qui en deviennent abstraits, l'important n'étant plus ce qu'ils sont et ce qui est arrivé, mais de pouvoir entretenir des conversations sans fins, sans objets, au quotidien, simplement l'échange infinie de paroles sur ce qui est arrivé, entretenir le sentiment que la « chose est arrivée », et se projeter au-delà de l'événement. On est toujours le « jour d'après » une masse de faits divers bouleversants, qui s'annulent les uns les autres, alimentant la grisaille…
Sans rien de tapageur, sans accentuation d'une origine quelconque, dans l'ensemble ça sent bon le blues africain qui lève comme du bon pain. Qui balance et chemine au gré d'un imaginaire fertile, tendre et tranchant.
Pierre Hemptinne
PointCulture Charleroi