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Pointculture_cms | critique

CARLOS - 3

publié le

Une minisérie haletante de bout en bout autour d’une figure traversée par toutes les contradictions politiques, idéologiques et sociétales d’une époque qui, et rebondit de façon toute particulière dans l’actualité de ces derniers mois.

 

 

 

 

 

 

Une minisérie haletante de bout en bout autour d’une figure traversée par toutes les contradictions politiques, idéologiques et sociétales d’une époque qui, et rebondit de façon toute particulière dans l’actualité de ces derniers mois.

En début de chaque épisode de la trilogie Carlos – 3 chapitres pour une durée totale dépassant de peu les 5h30 – s’affiche l’avertissement suivant : « ceci est une œuvre de fiction, les personnages et situations ont été romancés... ». Ceci afin de mettre en garde le spectateur en mal de reconstitution historique filmée (une spécialité bien française ?) et avisé de chercher la petite bête de l’inexactitude factuelle ou d’un éventuel parti pris idéologique dans le chef du réalisateur dans une fresque tapissée de multiples zones d'ombres qui défile au pas de charge et pour laquelle le secret d’état et la vérité judiciaire (il a été condamné pour un triple meurtre en 1997 à la réclusion criminelle à perpétuité par la justice française) constituent deux points d’achoppement critique supplémentaires.

carlosPour les faits, Ilich Ramírez Sánchez plus connu sous le nom de Carlos ou encore Le Chacal est né au Venezuela en 1949. Très tôt, il est soumis à un endoctrinement marxiste-léniniste qui le conduira à « parfaire sa formation » dans une université moscovite en 1970. Il intègre ensuite la nébuleuse du FPLP OE (Front populaire de libération de la Palestine, opérations externes, opposé à Yasser Arafat) basé alors en Jordanie et passe à la lutte armée dès 1973. Il mène une série d’actions violentes en France – attentats à la voiture piégée, attaque à la roquette contre un avion d’une compagnie aérienne israélienne sur l’aéroport d’Orly, assassinat de deux inspecteurs de la DST – avant d’embrayer  sur un coup d’éclat : la séquestration de 11 ministres de l’OPEP le 21 décembre 1975. Des divergences de fond l’éloignent du FPLP-OE et l’homme gagne Beyrouth pour ne se « réveiller » qu’au début des années ’80 où, dans la foulée de la guerre au Liban, il commet une série d’attentats sanglants pour exiger la libération de ses ex-compagnons d’armes arrêtés à Paris en 1982. Sa carrière de terroriste politique décline ensuite progressivement. En 1991, devenu indésirable dans une Syrie où il réside depuis 1985, et qui tente de se racheter une conduite internationale dans le contexte de l’après guerre froide, il se réfugie au Soudan jusqu’à sa spectaculaire exfiltration par les services secrets français le 15/08/1994. Depuis son procès, il s’est converti à l’Islam, réapparaît sporadiquement dans les médias à l’occasion de l’une ou l’autre tentative de coup d’éclat médiatique, et se trouve pour l’heure incarcéré à la maison centrale de Poissy près de Paris.

carlosLe Carlos d’Assayas, campé par un acteur à la prestance  magnifique, Edgar Ramirez, mais qu’il faut absolument entendre dans sa version originale (anglaise sous-titrée français), est un être pratiquement métamorphique, changeant de garde-robes, d’aspect et d’allure en un rien de temps pour de biens compréhensibles « raisons professionnelles », mais aussi parce que l’homme , costaud de par sa constitution naturelle, est aussi grand amateur d’alcool, de bonne chair et de femmes, ne retrouve plus qu’épisodiquement au déroulé des années son « corps de combat », musclé et endurant. Un corps filmé dans toute sa pleine puissance masculine et virile, massif mais malléable instrument au service d’un indéniable pouvoir de séduction naturel, un « charisme » qui tire sa force de sa propre conviction d’appartenir à la catégorie des hommes providentiels, ces destinées d’exception capables d’influer sur le réel et de lui assener au besoin quelques solides coups de crosse. D’ailleurs le réalisateur français place sans ambigüité sur un même plan ce sentiment de farouche invincibilité que confère la manipulation d’armes à feu et l’appétence triomphante revendiquée d’un quasi prédateur sexuel que rien ne semble en mesure d’assouvir. Entre Carlos et les femmes, c’est avant tout une affaire qui se joue à ses règles sur le court, voire parfois le moyen terme, mais avec à chaque fois la porte de sortie de son côté... Des femmes à l’égard desquelles ce narcissique jouisseur n’est pas, et c’est peu dire, enclin à appuyer les velléités d’indépendance et d’égalité dans une époque où ces revendications fleurissaient un peu partout sur le terreau des luttes d’émancipation collective. A bien des égards, le Vénézuélien tend plutôt à revendiquer pour lui ce qu’il dénie aux autres. Il attend une obéissance inconditionnelle des membres de son groupe alors que lui-même a bien du mal à se conformer à la moindre forme d’autorité (et lui vaudra son expulsion du FPLP-OE), sans compter ses moult atermoiements dans la marche à suivre au cours de ses opérations, et sans parler de son rapport bien peu orthodoxe à l’argent et à ses exigences de« gloire » médiatique.

carlosPas plus qu’il ne tient à éclairer d’une lumière trop crue les zones sombres que recouvre une stature telle que Carlos ni tenter de partir à la recherche des causes de sa lutte (option Che de Steven Soderbergh) pour lui tracer un portrait psychologisant, Assayas s’attarde davantage sur les contradictions et ambiguïtés d’un fils d’avocat communiste nanti, « tombé dedans quand il était petit » et dont le parcours semble étrangement semblable à celui d’un leader de groupe de mercenaires (voir le rocambolesque dénuement de la prise d’otages des ministres de l’OPEP), ou même, d’un simple chef de bande de type mafieux (son séjour syrien avec villa et chauffeur…). Piètre idéologue (?) ou orateur, il n’a jamais tenté de porter la lutte sur le plan des idées, encore moins de l’action politique, et n’a sans doute approché ce prolétariat qu’il affirmait défendre que de loin, ou incidemment, dans ses innombrables beuveries. Incapable de tirer le moindre bilan de l’échec de l’expérience politique socialiste du bloc Est, il glisse peu à peu dans le réduit idéologique rétrograde l’islamisme radical, par simple (opportunisme ?) dégout de l’Etat d’Israël et anti-américanisme primaire.

A la façon d’un Mesrine (2008) de J-F Richet, Assayas revendique le droit de s’approprier un matériau historique encore brulant dans les mémoires et toujours en lien étroit avec l’actualité d’aujourd’hui, et en livre une lecture kaléidoscopique et volontairement lacunaire qui ne prétend pas à l’exactitude – si d’aventure, elle est possible – mais en capte toute l’énergie cinétique résiduelle. Plutôt qu’à perdre vainement son temps en spéculations causales (qu’avait-il dans la tête, a-t-il subi un quelconque trauma déclencheur…), et tout en maintenant partout les cloisons bien étanches entre ambiguïté du sujet (ce qu’un personnage comme Carlos incarne à la perfection) et indentification problématique (rendue inopérante dans ce film qui n’aligne aucun acteur « connu »), le Français « utilise » Carlos telle une boule à facettes historico-fictionnelles sur laquelle se reflètent à toute vitesse images d’actualité d’époque et ce qui – on l’espère – ressemble à la promesse de séries continentales (puisque les Anglais font exception) qui refont sur le plan de la qualité et de l’énergie, leur retard sur leurs équivalents US ! Il était temps.

Assayas filme pied au plancher avec un sens affuté du détail et de la reconstitution (sauf une scène où les arbres portent encore leur feuillage vert fin décembre !) et un souci constant d’efficacité qui peut désarçonner voire déstabiliser par le rythme qu’il assène avec une délectation quasi coupable, mais sans rien sacrifier à l’opacité d’une réalité géopolitique mondiale fluctuante, aussi muette sur ses alliances pas toujours secrètes, que sur la nature des enjeux véritables qu’elle recouvre. Revers ironique de l’histoire, quelques hommes d’Etat influents de l’époque qu’Assayas a l’intelligence de ne pas montrer à l’écran (Mouammar Kadhafi, Hafez el-Assad, père du président actuel, Bachar, feu Saddam Hussein) sont à nouveau au cœur de l’actualité de ce printemps 2011. Seule exception à cette règle, Abdelaziz Bouteflika, actuel président de la République Algérienne, présenté, dès 1975 comme un ministre particulièrement habile dans des négociations délicates.

carlosAu sein de la nébuleuse terroriste ayant gravité dans le sillage de Carlos, on recense aussi bien des Palestiniens ayant opté pour la lutte armée que des membres incontrôlables des Cellules révolutionnaires (extrême gauche allemande), des Français sans aucun scrupule, et plus tard des « assistants » détachés de divers services secrets du bloc Est qui le lâcheront sans état d’âme. Mais le paysage décrite ressemble davantage à une série d’embranchements circonstanciés et provisoires au gré des changements d’alliances, parfois suivis d’effets (les actions proprement dites) avec pour protagonistes des agités qui doutent - à une notable  exception près - rarement de leur engagement politique mais ne savent pas toujours comment le réaliser, quand ils ne craquent pas tout simplement avec de funestes conséquences… Pas de place ici pour des opérations de déstabilisation du monde par des professionnels fanatisés suivant à la lettre les étapes implacables d’une machination complexe ourdie dans l’ombre mais, une série de coups (d’éclat) où le hasard, la (mal)chance et les circonstances interviennent à parts égales. A titre d’exemple, la première mission de Carlos en 1973 à Londres, une tentative d’assassinat, échoue dans un ridicule consommé…

Ce détachement subtil au cœur même de son sujet se marque aussi dans les choix musicaux du cinéaste (qui est aussi l’une de ses marques) qui fait la part belle à quelques-unes de ses marottes rock, option D2 new wave anglaise et indie US 80-90. Une B.O. qui de Wire aux Feelies en passant par New Order (et à l’exception de ces derniers) est en adéquation avec le relatif anonymat de son casting d’acteurs, et dont l’excellence intemporelle ajoute  encore un peu plus au crédit de ce Carlos tourneboulant !

Yannick Hustache

 

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