MY SUMMER OF LOVE
Sans sa subjectivité appuyée, le titre de ce film anglais semblerait presque anodin, un cadre balisé pour une brève idylle estivale. Mais en puisant aussi bien dans les codes du réalisme social que dans ceux du drame lyrique, Pawel Pawlikowski, dont c’est le deuxième film de fiction après de nombreux documentaires, réussit une œuvre envoûtante, remarquée dans de nombreux festivals.
L’histoire se déroule dans un village perdu du Yorkshire. Mona, orpheline un peu sauvage, vit seule avec son frère. Celui-ci, tout juste sorti de prison, décide de transformer le pub familial en lieu de prière pour un groupe de chrétiens charismatiques. Sans perspective d’avenir, Mona traîne sur les routes avec sa mobylette lorsqu’une jeune fille de son âge apparaît, nimbée de lumière, sur un cheval blanc. Tamsin incarne l’exact opposé de Mona : elle habite avec sa famille un somptueux manoir; sa culture livresque et sa beauté hiératique contrastent avec l’accent grossier et la dureté des expressions faciales de Mona. Pourtant, leurs solitudes les rapprochent inexorablement; Tamsin attire la jeune fille dans un univers exaltant rehaussé de musique et de références littéraires, où le bon vin ne tarit pas. Très vite, une relation passionnelle s’établit entre elles tandis que, parallèlement, le frère de Mona s’investit corps et âme dans la religion.
D’emblée, la profonde différence sociale entre les deux jeunes filles accentue leur attirance mutuelle. S’il est évident que Mona apprécie le luxe et la splendeur de la vie de manoir, Tamsin accueille l’impulsivité et l’ardeur de Mona comme autant d’éléments libérateurs. Le cliché de la passion aliénante n’en est pas moins habilement contourné: l’idée du film se situe à un autre niveau. Bien sûr, Mona ne résiste pas à la fascination que Tamsin exerce sur elle, mais elle ne lui répond pas moins sur ce ton particulier, mélange de sauvagerie et de cynisme prématuré, que reflète également son visage. On notera en passant l’excellent choix des actrices, chacune d’elles habitant son personnage avec force. La synthèse sociale que propose leur histoire est donc entièrement psychologique: la forte personnalité de Mona, sa vitalité rayonnante et solide, pèsent autant que toutes les richesses matérielles et intellectuelles de Tamsin.
Mais c’est aussi la manifestation d’une intense ambiguïté. Car My Summer of Love, entre la réalité et la fiction, ne choisit pas son parti. On se souvient que Pawel Pawlikowski (comme Michael Winterbottom) a commencé sa carrière de cinéaste en réalisant des documentaires pour la BBC. Sa façon d’appréhender la fiction garde l’empreinte nette de cette formation. Ainsi, sur le plan formel, la caméra capture les personnages sur le vif par des recadrages rapides et nerveux, elle scrute le moindre détail sur les visages, extrêmement mobile, établissant par petites touches un tableau d’instantanés. Justement, c’est de l’impressionnisme. Une lumière scintillante, des couleurs naturelles limpides, des gens pris au hasard d’une activité quotidienne – autant de détails significatifs en dehors de toute mise en scène et de plans prémédités. De cette juxtaposition d’images soigneusement choisies ressort un tableau magnifié du Yorkshire tel, sans doute, que le perçoivent les deux jeunes filles lorsqu’elles sont ensemble.
Plus profondément, cette ambiguïté formelle correspond aux conflits intérieurs des protagonistes. Leur sincérité est d’emblée remise en cause, mais rien n’est explicite. Au contraire, le trouble surgit de cette subtile dissonance entre divers éléments, que l’image juxtapose presque incidemment. Alors même que tout semble se dérouler naturellement, le malaise ne cesse de s’épaissir, à peine trahi par l’une ou l’autre parole. Si Pawlikowski laisse une grande liberté à ses personnages, c’est pour capturer cette vérité humaine qui ne se laisse entrevoir que dans un champ ouvert, plus proche de la vie réelle que du scénario méticuleux et des dialogues signifiants. Cette ouverture permet une multiplication des fictions, celles que génèrent les personnages parallèlement à la ligne de base du film. Dès lors, l’intention du réalisateur devient évidente : filmer la fiction à la manière d’un documentaire met en lumière le caractère essentiellement fictionnel de la réalité vécue.
CDP