WHY I HATE WOMEN
Il y a presque trente ans, The Modern Dance prenait le mouvement punk de vitesse. Une claque hors norme, violente, truculente, malsaine, tranchante, paranoïaque. Esthétique sale et bâclée inspirée du punk mais dessinée au scalpel, poussée à l’extrême. Depuis, David Thomas a bien roulé sa bosse rock résolument à l’écart des recettes du succès. Sous les défroques de Pere Ubu, en solo ou autres associations, près d’une trentaine d’albums. Un parcours de légende, sans compromission, animé d’une âme singulière. Avec un ego surdimensionné, gourouesque, sorte de Moby Dick du rock alternatif, sombrant dans des frasques soniques difficiles puis surgissant dans des états de grâce déroutants, épiphanies simples, bouleversantes.
Why I Hate Women, titre provocateur, est un voyage sentimental dangereux au pays borderline de l’amoureux ressassant les frustrations de désirs incommensurables où passions et destructions attisent douceurs angéliques et représailles sadiques ! La danse ubuesque ne déchire pas autant qu’à ses débuts. Il y a une certaine patine, certes, mais trompeuse ! Si la ligne mélodique est brouillée en un bordel sonore organisé, tantôt jeté et acide, tantôt statique et introspectif, la voix étrange surfe sur un fil narratif transcendant, célébrant des mélodies venues de ses tréfonds inavouables, lynchiens. Le theremin spirite (Robert Wheeler) libère les fantômes qui se disputent le mental du leader charismatique. La puissance subtilement décalée des parties instrumentales (guitare de Keith Moliné, basse de Michele Temple, batterie de Steve Mehlman) permet de nombreuses écoutes réjouissantes. La transposition en concert est, semble-t-il, particulièrement ravageuse : lire les témoignages de fans sur www.ubudance.com
Réécouter :
Pere Ubu : « The Modern Dance » - (Cooking Vinyl, 1977-1988) -
PH
Allez, je me répète : fin des années 70, Pere Ubu, Modern Dance, une sacrée claque. Un album cinglant, éprouvant. Qu’importe ce que j’écoutais au moment où surgit Modern Dance, l’important est que cette
musique venait brusquement bousculer des habitudes d’écoute. J’écoutais, entre autres, pas mal de musiques qui ressemblaient déjà à ça, dans la foulée punk, et donc l’oreille était bien préparée à ses sonorités. Ce n’est donc pas à ce niveau que la surprise se portât. Mais au niveau de la manière d’habiter ces sonorités et cette esthétique. Une présence, un projet, une projection. Dérangement puis fascination. Il y avait quelque chose d’énorme, dans la provocation, dans la déglingue, mais surtout dans la personnalité maladive qui rayonnait derrière le projet ubuesque. Parcourant en vitesse quelques blogs , je retiens cette expression qui qualifie bien David Thomas : « crooner psychotique ». Une certaine éponge qui capte l’état de la libido moderne et en recrache les éléments: racolage sentimental, pathos ambigu, latences psychotiques et la déclinaison de tensions, conflits et arrangements scabreux qui en découlent.
A première écoute, le nouveau Pere Ubu a quelque chose d’émoussé, de vieux. Aux écoutes répétées, il dégage ses charmes, il révèle sa force dérangée petit à petit... Il réactualise la claque, il permet de s’en souvenir en tout cas, de la scanner…
(Lire la chronique dans A Découvert/ Rock/ Novembre 06)