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Pointculture_cms | critique

PERMAFROST

publié le

Comme un périple à travers la neige et la glace dont il a fait sa signature visuelle, la musique de Thomas Köner est une exploration d’une gamme réduite, monochromatique. Ici c’est un spectre de sons volontairement limité, aux tonalités très subtiles, […]

Le premier contact avec ses compositions longues, ralenties à l’extrême, donne une impression d’immobilité, de vide, et évoque des étendues qu’on imagine volontiers désertiques et glacées, par contagion sans doute avec l’imagerie arctique du musicien, et les multiples références géographiques ou géologiques au grand Nord et à ses glaciers qui parsèment ses titres et ses illustrations. Mais ces espaces sonores révèlent peu à peu un raffinement de détail, une richesse harmonique inattendue. On est en droit de se demander si ces connotations ne sont pas de trop, ou si elles ne sont pas trompeuses, si elles n’orientent pas trop précisément des pièces qui, sans cela, seraient tout à fait abstraites, ses seuls contours visibles un balancement lent pouvant évoquer le vent comme la mer. Thomas Köner lui-même sépare nettement les deux médias qu’il pratique, l’image et le son, et nie chercher une quelconque résonance de l’un à l’autre. Pour lui ce n’est que par convention qu’on trouve des équivalences, des échos entre les deux, généralement au désavantage de la musique qui se retrouve alors cantonnée à une fonction d’amplification du visuel. Thomas Köner, s’il se définit comme un artiste multimédia, fait une distinction claire entre les matières qu’il aborde. Une partie de son travail concerne ainsi son association avec des cinéastes comme Jürgen Reble ou Yann Beauvais, qu’il envisage comme une réelle collaboration, une autre ses installations audiovisuelles et une dernière ses productions discographiques en solo.
Il développe avec ces dernières une œuvre, qui de son propre aveu, ne craint pas de mettre à l’épreuve la patience de l’auditeur. Celui-ci doit passer outre un premier sentiment de monotonie, d’ennui, pour accéder à la vraie richesse de sa musique, et prendre conscience de la luxuriance des textures que le musicien met en mouvement. C’est en étirant les sons, en les agençant sur une temporalité étendue, qu’il en fait d’autant mieux ressortir le détail. Derrière l’ampleur de ses nappes se dissimule un travail d’agrandissement, de focalisation extrêmement minutieuse sur des micro-événements de faible amplitude. Les prises de son précédant la composition proprement dite procèdent d’une démarche de grossissement, comme par un effet de loupe sonore, par laquelle il isole et amplifie de manière disproportionnée des sons ténus – généralement le son microscopique d’un gong joué par frottements légers – afin d’en disséquer les composantes et d’en renverser les perspectives. Il tire de ces enregistrements une palette sombre et étonnamment chaude, d’une profondeur sous-marine, avec laquelle il orchestre un paysage sonore de fiction, un environnement mystérieux, déconcertant. Ce n’est que par une écoute attentive, une forme de deep-listening, que s’en révèlent la minutie, et la richesse de nuances.

Benoit Deuxant

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