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Pointculture_cms | critique

KHADAK

publié le

Sélection du mois de février 2008 Si le vent soulève les sables Requiem pour un massacre Inland Empire The Christies Les Chansons d'amour Khadak

 

Le film commence par la sensation d’un vide immense ; la steppe interminable se partage l’écran avec un ciel froid, indifférent. Bientôt pourtant, l’espace laisse deviner une certaine densité, celle du vent dans l’herbe, dans les arbres ; peu à peu, l’air s’alourdit et la nature s’anime insensiblement. Apparaissent alors les nomades, premiers vecteurs de sens. Rien n’est dit, les paroles échangées sont insignifiantes, chaque visage est à la fois prolongement et contrepoint de la steppe, un paysage aussi, mais un paysage chargé, expressif, émouvant.

Atteint d’épilepsie,  Bagi est destiné à devenir chaman. Pour l’heure, le souci du jeune homme est avant tout le bien être de ses moutons. Il vit simplement, la vie harmonieuse des nomades, avec sa mère et son grand père. Brusquement, dans le bruit et la poussière de leurs voitures, les autorités débarquent, et, évoquant une épidémie de peste chez les moutons, les somment d’abandonner troupeau et yourte. De tous côtés, les nomades sont rassemblés,  entassés dans de lugubres HLM, forcés de travailler à la mine sur des machines monstrueuses. Il ne leur faut pas longtemps avant de comprendre qu’ils ont été victimes de manipulation et que l’épidémie est un mensonge destiné à faciliter leur délocalisation. Lien spirituel avec la steppe et les animaux, les crises de Bagi, déchirantes visions, prennent de plus en plus d’ampleur, au point d’initier une forme de contre-pouvoir, une révolte.

L’ancrage de  Khadak est donc très concret : c’est, au détriment de l’homme et de la nature,  la douloureuse transition du nomadisme à l’industrialisation. Le départ des Russes a laissé un vide en Mongolie que les forces extérieures n’ont pas tardé à investir; aujourd’hui la corruption et les intérêts particuliers, parfois étrangers, s’accordent pour dégrader les conditions de vie d’un peuple déraciné… Le tournage s’est effectué essentiellement en décors naturels, la steppe glaciale et les nombreuses bases soviétiques en ruine constituant un matériau adéquat pour une image réaliste. Par ailleurs, les réalisateurs, le Belge Peter Brosens et l’Américaine Jessica Woodworth, sont documentaristes, mais la disproportion entre la richesse des éléments collectés et l’exiguïté du reportage les a poussé à lâcher prise; par souci de sincérité, ils ont alors décidé de représenter cette réalité en fiction, d’explorer la subjectivité de leur propre regard et de laisser intacte sa part de mystère.

A cet égard, Bagi peut-être compris comme le symbole de l’âme mongole, investi d’une croyance issue de la rencontre entre bouddhisme tibétain et chamanisme sibérien, dont l’élément suprême est le Ciel,  juge ultime des actions des hommes. Il est représenté par le khadak, cette écharpe bleue que l’on noue autour des arbres et au cou des animaux. L’épilepsie, état de grâce autant que malédiction, révèle le sacré dans la réalité. Dans cette cité de HLM où tout se meurt, sans espoir, Bagi incarne la persistance de la Mongolie ancestrale et le lien harmonieux qui unit l’homme à la terre et à l’animal. Etrangement, les réalisateurs, qui se disent athées, ont fait de ce personnage une figure christique: c’est par le sacrifice de son corps qu’il sauve son peuple.

 S’il n’y a pas de maintenant, alors ici n’a aucun sens : Khadak semble collecter les éléments de la réalité pour ensuite en effacer les contours, les soustraire à l’espace-temps. Ce glissement vers l’abstraction, cette déconstruction du visible, ne détruit que les apparences trompeuses. Portée par une musique magnifique, également conceptuelle, une autre lecture du film devient possible, décontextualisée. Sans la diminuer ni renoncer à sa valeur réelle, la Mongolie devient métonymie de la Terre. C’est un champ philosophique ouvert, une représentation sans idéologie. Malgré sa profonde valeur symbolique, le mot khadak n’est nulle part explicité, il annonce métaphoriquement  la possibilité – non pas d’une autre interprétation – mais bien d’un détachement.

Catherine De Poortere

 

 

 

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