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Pointculture_cms | critique

MACHINE GUN

publié le

Sélection du mois de mai 2008 Peter Brötzmann Charles Lloyd - Pharoah Sanders

MAI 68-08, toujours free.

Le fond de commerce musical « 68 » reste résolument pop, rock, flower power, hippie, chanson… Toutes formes musicales qui sont bien intégrées caressent la nostalgie dans le sens du poil et du marketing ! Elles sont au marché de la musique ce que les soixante-huitards devenus cadres performants sont au nouveau capital hyperindustriel ! Elles se situent du côté des pulsions récupérées. Mais la machine du désir 68, dans toute sa puissance de révolte, il faut aller la chercher ailleurs (elle n’est pas dans la compilation « Cocktail Molotov »), idéalement au cœur de « Machine Gun » de Peter Brötzmann. L’enregistrement est historique dans l’histoire du jazz, de l’improvisation, de la conception d’objets sonores contemporains et est bien enregistré en 1968.

Il se passe quelque chose de merveilleux avec cet enregistrement, et c’est un transfert d’esprit, comme on parle dans d’autres domaines de transferts technologiques (quoique, ici aussi, il soit question de techniques musicales en quoi réside et peut se transmettre l’esprit). Un transfert d’esprit entre la communauté free-jazz africaine-américaine et une nouvelle génération de musiciens européens qui ne vont pas « faire du free-jazz africain-américain », parce que ça n’aurait pas de sens, parce que les comptes à régler au niveau de l’héritage et des racines sont trop différents, mais ils vont inventer le free-jazz européen. Ils vont tourner vers l’histoire politique, sociale et culturelle de la vieille Europe, la mitrailleuse d’un free-jazz radical.

Puissant, violent, perturbateur autant que jouissif.

Cette musique n’est pas que destructrice, tout en ravageant les repères esthétiques conventionnels, elle construit des manières d’improviser ensemble, elle élabore une nouvelle grammaire sonore et elle dégage des forces de libération qui font du bien, ouvrant des perspectives d’espérance, de renouveau. La déconstruction s’opère toujours en mettant en place des outils critiques de reconstruction.

C’est une musique qui vient rappeler que la société rongée par le malaise des jeunes, dans laquelle couvent la révolte et le désir d’une autre vie collective, est une société toute entière responsable de la barbarie, de la guerre et des camps nazis. 1968, ce n’est jamais que 22 ans après 1945.

Ce dispositif musical ne surfe pas sur des impulsions superficielles ou des explorations psychédéliques d’états seconds, mais elle se connecte à tout un travail théorique qui repense le cerveau, le psychisme, le corps, l’inconscient pour le dégager de la société disciplinaire. On sent s’agiter dans cette esthétique du bruit organisé tout ce qu’ont remué les intellectuels qui ont fait germer un formidable printemps de l’esprit dans les années 60 et 70 : Deleuze, Foucault, Habermas… Mais aussi ce qui a fait progresser les autres disciplines artistiques vers une nouvelle conscience active, vers une volonté d’intervenir. Et c’est en cela que cette musique s’organise comme une machine du désir, greffant de l’immatériel sur du matériel, faisant se rejoindre l’esprit et la chair comme jamais, théorisant ses forces et fragilités dans un mouvement de repli sur soi, puis les éprouvant sans limites dans une expansion sauvage inouïe, improvisée et assumée collectivement.

Les coups de butoir sont impressionnants, jaillissant de ces personnalités fortes qui se rejoignent dans les plus belles rafales de « Machine Gun » : avec Peter Brötzmann, Willem Breuker, Evan Parker aux saxophones. Peter Kowald et Buschi Niebergal à la contrebasse. Han Bennink et Sven-Ake Johansson à la batterie. Et Fred Van Hove au piano. Tous musiciens exceptionnels et qui ont continué ce travail rigoureux et essentiel de liberté qui, depuis longtemps, n’intéresse plus les médias (même en temps de commémoration aiguë) ! Leur discographie très abondante, présente à la Médiathèque, témoigne de leur activisme, de leur esprit intact. Le printemps est toujours là !

Article de Wikipedia sur Peter Brötzmann

 

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