SCHWARZWALDFAHRT
Et le duo précurseur de musique improvisée européenne inventa la prise de son…
C’est en 1977, il fait froid, ils font escale dans cet immense espace qu’est la Forêt-Noire, en Allemagne, qui est habituellement pour eux un lieu de passage « pour aller jouer de l’autre côté »
comme le dit pudiquement Brötzmann dans le texte du livret. Là où leur musique est considérée.
On leur prête un enregistreur portable. Cela ressemble à des vacances à la campagne à ceci près que dans la voiture il y a quelques instruments (mais pas de batterie, juste des bâtons de bois pour le rythme).
Tout y est, dans ce dénuement de l’acte musical, du geste, fondement même du free-jazz et de la musique improvisée. À ce titre, Schwarzwaldfahrt fait figure de manifeste.
Mais, il y a plus, comme si ce mouvement vers l’essentiel, ce dénuement avait de lui-même ouvert la voie vers ce qui d’un plus, d’une valeur ajoutée à la musique d’alors, allait trouver sa continuation aujourd’hui et allait devenir une fin en soi (dans les musique improvisées actuelles), je veux parler de la prise de son en tant que composante affectant directement le contenu musical.
Le micro est donc planté dans cette forêt, il est un arbre. Autour, Brötzmann et Bennink jouent (au même titre que des enfants et pas seulement de leur instrument: il s’agirait aussi, dans cette proximité avec l’enfance, d’une « réappropriation » de l’acte musical dans toutes ces composantes). Ils vont de gauche à droite, décrivent des cercles, se disputent. Brötzmann s’éloigne (tout en jouant), Bennink souffle dans le micro, s’émerveille du clapotis de l’eau. Autour, les oiseaux souvent, au dessus les avions parfois, les musiciens réagissent. On sent leur corps, leur absence aussi : comme Xenakis avec Metastasis (FX3023), ils offrent ici à la musique une troisième dimension .
Brötzmann et Bennink, en bons musiciens, sont des raconteurs d’histoire. Le plus, c’est qu’ici ils inventent une nouvelle manière de la dire.
MC