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Pointculture_cms | critique

CHRISTIES (THE)

publié le

« Tout ce que vous allez voir est inspiré de la réalité. Ce que vous ne verrez pas est le fruit de vos rêves, de vos fantasmes, de vos craintes et de vos doutes concernant l’avenir. J’ai rencontré Mr.Christie, il est une personne réelle…» annonce une […]

 

Mais qui est ce Phil Mulloy ?
Dans l’univers en expansion du film d’animation de ces dernières années, il existe un dessinateur réalisateur anglais qui prend le contre-pied de tout ce qui paraît aux alentours. Pas de sentimentalisme, pas de romantisme, pas d’infantilisation, nous sommes plongés dans un monde cru, violent, très sexué, sans complaisance, terriblement drôle et sarcastique. Tout au long de sa filmographie de courts-métrages, en gros depuis les années 1990, Phil Mulloy fait une analyse lucide et sombre de la nature humaine prédatrice et victime dans un monde déshumanisé. Avant 1990, il filmait de réels documentaires et réalisait des films de science-fiction. Depuis, il jette sur le papier blanc ses traits d’encre noire, noire, noire où éclatent encore mieux le rouge de la souffrance, du meurtre et le feu de la jouissance, ponctuant certains dessins animés (Intolérance II, Le Vent des Changements, La Chaîne…) de pigments symboliques ou d’images d’archives. Ses personnages ont tous les mêmes traits grossiers et élémentaires, mais ils sont d’une expressivité hors du commun et les situations qu’ils vivent vous feront autant grincer des dents que rire aux éclats. Dans chaque histoire, la simplicité graphique et la rapidité du trait courent à l’essentiel par un enchaînement vif de gesticulations, de gags, de scènes absurdes, de comportements extrêmes afin que l’idée, le sens de l’histoire, la «morale» de la fable ou l’émotion soient projetés à la face du spectateur. Attention, la morale c’est qu’il n’y a pas de morale (Les Dix Commandements) dans le monde dépeint par Mulloy. Nous sommes très proches du monde réel. Mulloy ne perd pas son temps à montrer ce qui est positif dans l’humanité puisque (pour lui) la souffrance, la bestialité, l’injustice, l’hypocrisie, les bas instincts dominent les rapports entre individus et société.
Chaque film est une démonstration caustique de l’état déplorable dans lequel nos tabous, nos illusions, nos vaines tentatives ont plongé le monde. Les visionner me donne l’impression d’être scotché, à la fois hilare et horrifié, contre les parois transparentes d’un ascenseur en chute libre lancé à travers l’Histoire du monde et les histoires des gens. Il n’y a pas de langue de bois lorsque dans Le Vent des Changements, Alex Balanescu exprime ses souvenirs du communisme à Bucarest dans les années 60 où l’individualité était écrasée, Mulloy représente l’autorité comme un géant de pierres cimentées, moqueur et déféquant symboliquement sur la population… Ailleurs, le capitalisme, la domination (la série Cow-Boys), la cupidité, l’esprit de compétition, l’éducation, le lavage de cerveaux par les religions, la peur de la différence (Intolérance), la peur de la sexualité et bien d’autres contradictions de notre civilisation occidentale, sont dans le collimateur de Phil Mulloy. Son dessin est libre; la narration augmente la compréhension; la musique est essentielle, elle est l’œuvre de fortes personnalités: le violoniste Alex Balanescu, Peter Brewis (musicien et acteur dans The Wicker Man de 1973), Keith Tippett (pianiste anglais qui a joué avec Elton Dean et King Crimson).

The Christies, c’est l’histoire d’une famille anglaise assommante, affreusement normale, dominée par la culpabilité et la cupidité, dont le réalisateur explore l’intimité réelle et l’intimité fantasmatique, la frontière entre les deux mondes s’effaçant continuellement. D’emblée le malaise s’installe avec la présence d’une Autorité toute puissante et menaçante qui enquête sur les personnalités jugées troubles de Mr.Christie et de ses proches. Qualifié par elle de «véritable merde», l’Autorité menace de l’enfermer pour son propre bien. Nous découvrons petit à petit cet Anglais moyen apparemment bien intégré dans la vie mondaine, ainsi que sa femme, soumise et insatisfaite, qui en pince un bout pour l’étrange décorateur invité par Mr.Christie à revoir leur intérieur. Ils ont un chien adoré, Buster et un fils de 13 ans, Terry, dont la petite amie Tracey lui est déjà destinée comme épouse, son papa étant suffisamment fortuné aux yeux de Mrs Christie. Mais rien n’est aussi simple à partir du moment où l’on pénètre dans l’intimité psychologique des personnages. Mr.Christie se révèle plus grossier et violent qu’il n’y paraît et derrière son apparente droiture, Phil Mulloy, nous dévoile un homme étroit d’esprit, qui ne comprend pas grand-chose à ses propres fantasmes et encore moins aux désirs amoureux et sexuels de sa femme. Quelques personnages étrangers à la famille vont servir de révélateurs à ces caractères dont les frustrations s’expriment en perversités grotesques. La langue et le dessin de Mulloy n’ont aucune retenue. C’est donc un film pour un public averti.

En bonus, neuf courts-métrages inédits en DVD illustrent la grande diversité de l’imaginaire poétique et cinématographique du réalisateur anglais. [retour]

Pierre-Charles Offergeld

 

 

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