WHORE LUCK
Pourquoi la mélancolie solennelle de Picastro mouche-t-elle les cœurs à vif ?
Aurait-elle quelque chose de plus à nous dire que les centaines de disques au moral en berne qui, à l’unisson d’une situation générale morose, font de l’automne une saison qui s’étire sur 365 jours ?
Pour les présentations, Picastro participe sans le savoir à la déferlante canadienne actuelle, même si leur musique pas guillerette pour un cent de là-bas s’acclimate davantage des longues et glaciales nuits d’hiver sous les aurores boréales du Grand Nord que des mille-feuilles pop exubérants concoctés en groupe et dans l’agitation des villes. Point de lyrisme finement ourlé à la Arcade Fire ou de tartufferie glam à la Islands comme pare-feu à tout ce qui ne va pas, mais un relatif abandon aux langueurs du spleen.
Sa gestation a été lente (débuts en 1997!) et ponctuée du va-et-vient, y compris au niveau des instruments, de pas mal de monde autour de son membre fondateur Evan Clark (guitare et composition). Le futur Final Fantasy Owen Pallet fait même partie des résidents temporaires (il est à nouveau présent sur le dernier), mais Picastro commence à prendre ses marques avec l’arrivée de la naïade triste Liz Hysen au chant. Un premier disque (« Red Your Blues ») paraît en 2002 en soutien de tournées qui leur font rencontrer du beau monde comme les insaisissables Greg Weeks (Espers, The Valerie Project) ou Six Organs Of Admittance, mais surtout leur attire les sympathies du label anglais défricheur Monotreme (65Daysofstatic, Barzin) qui sort leur second album (« Metal Cares ») en 2004. Les Canadiens jouent au (défunt) festival Rhâââ Lovely en 2006 et rejoignent l’écurie Polyvinyl (Of Montreal) pour la couverture du Nouveau Monde.
Élégant mais pas fondamentalement novateur, le folk/blues alangui de Picastro convoque instantanément dans son giron une pléthore de figures musicales actuelles ou surgies d’un passé encore trop frais pour l’embaumement, et qui ont pour trait commun de regarder la mélancolie dans le blanc (ou noir?) des yeux par le prisme d’une féminité pâlotte en apparence. Les noms et silhouettes passent comme les nuées humides d’une fin d’automne mais aucun ne se fixe pour longtemps. Quelque chose qui pourrait ressembler à un «core» - noyau en anglais – les y empêche. Ainsi, on ne peut dire que c’est la fée clocheton Tara Jane ‘O Neil qui déverrouille la porte d’«Hortur» parce que derrière, les murmures étouffés de quelques garçons espiègles font des glissades sur des pianos lilliputiens. Sur « Car Sleep », c’est l’énergie résiduelle d’un groupe à part entière qui invalide le rapprochement à Nina Nastasia. En foulant « In The Weeds » repasse un flash mémoriel datant des défunts Movietone mais celui-ci est aussitôt brouillé par le dialogue finement perturbateur entre une guitare et un violoncelle. De même, « All Erase » n’est pas une reprise d’un titre de Shannon Wright par The Rachel’s même si l’énergie de la première et l’hypnotisme cinématique des seconds répondent à l’appel. Picastro a son petit secret, ce petit pré carré sis dans une zone bien défrichée voire presque piétinée (voir les milliers de plaques récentes estampillées folk triste), mais qui ne ressemble à aucun autre sous l’action d’un travail collectif cimenté dans la connivence et au résultat toujours supérieur à la somme de ses intervenants.
Pendant la minute trente sans voix de « Towtruck » et sur sa suite, « Stair Keeper », la déconstruction douce d’un Coil humanisé ou d’un Califone féminisé vient taper l’incruste chez une Cocorosie groggy. Tandis qu’en ultime cadeau à un vague à l’âme polymorphe et presque attirant dans son mystère, Picastro réussit à acclimater dans son univers de poche deux trublions à l’instabilité notoire: Rocky Erickson (13 Floor Elevators) via « If You Have Ghosts » et l’irascible Mark.E.Smith de The Fall avec « Ilder Lover ».
Pas mal pour des pleurnichards.
YH