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Pointculture_cms | critique

PLAYS

publié le

Il y a ce mot de cinq lettres en guise de titre, ce verbe anglais transitif usuel (Joue) qui, ici, dans le contexte des musiques électroniques pose question, voire problème. Surtout quand il est précédé du nom d’un premier musicien (celui qui […]

Dans le champ des musiques électroniques (germaniques, de surcroît), on pourrait être ici dans la queue de comète de l’excellentissime 45-tours Plays du Viennois Fennesz qui en 1998 proposait sa relecture – entre reprise et remix, entre respect, amour, adhésion romantique et dépouillement et mise à nu au scalpel de leurs squelettes – des chansons « Paint It Black » des Rolling Stones et « Don’t Talk (Put Your Head On My Shoulder) » des Beach Boys… Mais il n’en est rien. Dans ce quintuple double hommage (à chaque fois, deux morceaux, traces des deux faces des cinq disques originaux) à Cornelius Cardew, Robert Johnson, Albert Ayler, au cinéaste John Cassavetes et à l’écrivain Hubert Fichte, la filiation n’est même pas une question de prise d’échantillon (de sample) puis de culture in vitro. Ou en tout cas, pas toujours. Et pas de manière évidente.
Né à Francfort en 1974, étudiant au long cours (huit ans) en philosophie, intéressé par les théories esthétiques du local hero Theodor Adorno, Ekkehard Ehlers évolue entre les dites « hautes sphères » et les boules à facettes. Pour son premier album Betrieb (Mille Plateaux, 2000) – dont le nom deviendra, aux côtés de Auch, une de ses deux identités pour ses projets minimal house plus dansants –, il agence selon une structure « d’inspiration dodécaphonique » des blocs de sons prélevés chez les compositeurs Charles Ives et Arnold Schönberg. Mais le rapport d’Ekkehard Ehlers à l’histoire de la musique savante n’est pas d’essence académique. En 2001, dans un entretien au magazine anglais The Wire, il affirme à la fois que la constitution de sa collection de disques a été son écolage musical et que lorsqu’il a entendu la musique d’Albert Ayler pour la première fois, à l’âge de seize ans, c’était comme s’il entendait de la musique pour la première fois de sa vie. Pour le musicien, il s’agit donc avant tout de rendre hommage à cinq créateurs qui l’ont profondément marqué, cinq artistes dont il remarque ensuite qu’ils sont liés, de manière très particulière, à la fois à la notion de résistance et d’émotion. Cinq artistes par ailleurs morts trop jeunes (en particulier les deux musiciens noirs américains : Robert Johnson à l’âge de 27 ans, Albert Ayler à 34 ans), avec pour chacun d’entre eux des projets qui ne seront jamais réalisés. Toujours dans The Wire, mais cinq ans plus tard, en 2006, Will Montgomery écrira d’ailleurs que « la mort et la négritude [blackness] sont des figures récurrentes dans l’œuvre d’Ehlers » comme sur ce morceau « Strange Things » de l’album A Life Without Fear (Staubgold, 2006) qui utilise un extrait d’un chant de lamentation relatif à la Première Guerre mondiale du bluesman noir Charles Haffer Jr. enregistré en son temps par Alan Lomax. À la remarque de Montgomery sur les fils rouges du parcours d’Ehlers, on serait tenté d’ajouter la résistance aux catégorisations préétablies et une certaine prédilection pour les positions de carrefour et les lieux de porosité entre les styles et les pratiques. Ainsi, au début des années 2000, Ehlers donnera plus de cent concerts avec le guitariste acoustique Joseph Suchy (pour une musique entre blues et électronique, composition et improvisation, etc.) et son album préféré de son quasi-homonyme Albert Ayler est le souvent mal-aimé New Grass (Impulse !, 1968) où le saxophone du titan free se mâtine des voix gospel presque Motown de Rose Marie McCoy et Mary Maria Parks.
Pour revenir à Plays et conclure, il est intéressant de confronter deux affirmations du musicien, dans les deux articles évoqués ci-dessus : « Mon idée n’était pas (juste) de sampler » (2001) et « l’album Plays représentait plus ou moins la réponse aux questions que je me posais à propos du sampling » (2006). Le revirement n’est qu’apparent. Tout est dans le « (juste) » de la première assertion. Le disque n’utilise que très ponctuellement l’échantillonnage : dans les pièces dédiées au compositeur Cornelius Cardew et un fragment vocal accéléré (et par conséquent féminisé) de Robert Johnson chantant « When You Got A Good Friend » posé sur un fond house très dancefloor. Par contre, la pièce dédiée à Ayler est par exemple une composition pour violoncelle solo, jouée par la violoncelliste Anka Hirsch puis manipulée électroniquement par Ehlers. Mais, en se posant la question de la référence (aux « grands hommes », aux figures tutélaires qui nous influencent ou nous guident) aussi via la mémoire des lieux (pour chacun des cinq artistes, la pochette reprend une photo satellite de la région où il a vécu) dans un champ de création (celui des musiques électroniques) où la référence passe dans la grande majorité des cas par l’échantillonnage, cette question hante tout le disque même dans les pièces qui n’ont pas été construites selon ce mode opératoire.

Philippe Delvosalle

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