« Pourquoi nous détestent-ils, nous, les vieux ?» (Marcel Amont & Aurélia Braud)
Il est là, devant vous. Égrenant sa monnaie pendant de longues minutes à la caisse du supermarché. Il est là, devant vous, dans sa voiture, roulant à la vitesse d’une tortue et s’arrêtant sans crier gare. Il est encore là, surgissant surtout lorsque vous êtes pressés. Un vrai complot !
Dans notre quotidien, nous avons tous vécu cette expérience avec le fameux « petit vieux ». Volontiers décrit comme déconnecté, conservateur, fatigué, inactif, déprimé… Il nous apparaît souvent comme un poids pour la société, entrainant un déséquilibre démographique, un effondrement de nos systèmes de santé et de retraites.
Marcel Amont, le guide
Dans un de ses plus grands succès, « Un Mexicain basané », le chanteur Marcel Amont chante « C’est formidable aujourd’hui ce que j’ai sommeil, l’existence est un problème à n’en plus finir, chaque nuit, chaque jour, c’est le même, vaut mieux dormir ! ».
Vraiment ?
Avec ses nonante ans au compteur et ses septante ans de scène, le chanteur Marcel Amont laisse pour une fois tomber le micro pour prendre son bâton de pèlerin dans ce magnifique documentaire. Tout en finesse et avec beaucoup de malice, il nous emmène dans un road-movie riche en rencontres humaines et tente au détour de multiples regards experts (psychologues, sociologues, neuropsychologues, sexologues) d’affûter notre regard envers les plus âgés de notre société.
« Marcel Amont ? Mais il est mort ! » ou « Marcel Amont, je refuse de l’assurer ! » « Il sent le pipi ! » (Un directeur de théâtre)
Toujours avec beaucoup d’autodérision, un brin de naïveté et de timidité, Marcel Amont nous fait part de son vécu de « vieux » et entretient avec le spectateur une véritable complicité. « Oui oui, nous dit-il, je vous entends d’ici ! ». Pris à partie, voilà qui nous permet de nous sentir pleinement impliqués dans sa démarche, son désir de mieux comprendre. Le rythme du film s’en ressent, nous voilà embarqués dans le voyage !
Marcel Amont est intarissable lorsqu’il évoque son expérience d’homme de scène (j’étais une « veudètte ») qui n’a jamais raccroché. À nonante ans, il continue chaque dimanche à assurer un one-man-show, où il partage avec son public les rencontres qui ont marqué sa vie (Piaf, Montand, Trenet, etc.). Il « galatouille » comme il dit à son ami humoriste François Morel, à qui il fait remarquer sa « démarche encore alerte ». Les années me passent par-dessus les épaules » martèle-t-il. Humour, prise de recul… Assurément, Marcel Amont constitue le bon choix pour être le fil rouge de cette enquête.
Tordre le cou aux idées reçues
Comment expliquer alors ces préjugés que nous pouvons éprouver à l’égard de nos seniors ?
Tout d’abord, un constat. De nombreuses discriminations, liées à la couleur de peau, au sexe ou à la religion inondent l’actualité. Or, une se fait plus discrète, alors qu’elle concerne une frange importante de la population. C’est l’âgisme (peu importe d’ailleurs l’âge). Première découverte pour Marcel !
L’âgisme « regroupe toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris fondés sur l’âge (...), ce serait un préjugé contre une personne ou un groupe en raison de l’âge » (Wikipédia). Selon Jérôme Pellissier, psychogérontologue, l’âge serait même la première cause de discrimination en Europe dans le monde du travail ! Le voilà, le cœur du malaise ! Nous percevons une personne âgée avant tout comme une personne âgée, et non pas comme un individu à part entière...
Qui ne connaît cette anecdote de cette dame retraitée qui vient acheter un ordinateur et à qui le jeune vendeur propose la version la plus basique ? Il y a là un a priori d’incompétence. Les médias (les publicités, les films…) nous arrosent de cette image de vieux gâteux assis au coin du feu, tricotant ou sirotant leur tasse de thé. Statiques, donc. Le tout enrobé de moquerie et de méchanceté, distillant ainsi l’âgisme dans le terreau favorable de nos cerveaux déjà prédisposés.
Pour lutter contre ce fait trop banalisé, une association, appelée « Old Up » « Debout les vieux ! » a vu le jour à Paris. Marcel Amont y rencontre ses membres, dont l’objectif n’est pas de se défendre de ces clichés mais au contraire de démontrer que leur expérience de vie reste toujours utile à la société.
Car oui, la réalité est loin d’être monolithe, tous les vieux… ne sont pas vieux ! Certains vivent leur grand âge avec beaucoup de sérénité, même s’il est indéniable qu’une érosion des facultés physiques et intellectuelles apparaît avec l’âge. Certains refusent même carrément de vieillir. C’est le cas de Jacqueline, qui a déjà fixé la date de sa mort. La Suisse permet le suicide assisté mais dans des conditions très strictes et selon un protocole préétabli (association Exit en Suisse romande). Jacqueline milite pour le droit de mourir sans pour autant répondre à des critères médicaux bien précis. Pour elle, vieillir est signe de dégradation. Une femme âgée et liftée est tel un épouvantail, c’est un véritable repoussoir ! Jacqueline n’a manifestement pas l’habitude de mettre des gants pour s’exprimer ! Les racines de sa vie ont toujours été l’amour, le sexe, l’attirance physique… Mais tout cela est antagoniste au processus de vieillissement. Marcel sort de la rencontre manifestement secoué par ce discours très tranché. La vieillesse, maladie incurable ? Reflet d’une certaine gérontophobie ambiante?
Après cette rencontre pour le moins atypique, Marcel pousse la porte du sociologue Bernard Ennuyer. Selon ce dernier, il existe clairement une représentation sociale du vieillissement. Dans l’imaginaire social, on meurt forcément gâteux, en plein déclin…. Or, l’homme peut mourir en étant en bonne santé, en utilisant jusqu’au bout ses facultés physiques et intellectuelles ! C’est une question de disposition de l’esprit, l’être humain peut s’améliorer et engranger des connaissances jusqu’à la fin de sa vie.
En effet, même si l’on ne peut nier une certaine perte de l’autonomie physique ou intellectuelle (involution, variable selon les individus), le vécu psychologique n’est pas celui que l’on pense. C’est l’avis du neuropsychologue belge Stéphane Adam. Avec l’âge, la courbe du bonheur s’amplifie. Nos aînés sont plus enclins à profiter de l’instant présent et sont davantage aimantés vers les situations positives, ce qui aurait pour conséquence d’allonger la durée de vie ! Étincelle dans le regard de Marcel, enfin la vue se dégage !
Des facultés physiques et intellectuelles insoupçonnées...
Marcel poursuit son chemin et rencontre cette fois un sexologue. Loin des clichés (cela ne doit pas être, « ce n’est pas normal chez les plus âgés ») ce dernier confirme que la vie sexuelle fait partie intégrante de la vie chez certains de nos aînés et ce, même jusqu’au terme de leur vie. Ce que Marcel confirme par un petit sourire, toujours caché derrière sa feuille lorsqu’il éprouve une certaine gêne face à son interlocuteur. Évoluer avec son corps, s’écouter... voici la clé de l’équilibre selon cet expert.
Un peu plus loin, c’est dans une salle de sport que Marcel se rend, à la rencontre de seniors pratiquant des arts martiaux. « Ils sont plus forts qu’on ne le croit et disposent d’une excellente mémoire pour retenir les enchaînements » affirme leur professeur. Cela leur donne force, vitalité et une capacité de réaction en cas d’attaque.
Ultime rendez-vous de Marcel, et non des moindres : le professeur Amyot de l’Université du Temps Libre de Bordeaux. A l’instar des situations décrites ci-dessus, on peut apprendre à tout âge ! Les aînés peuvent continuer à apprendre car leur plasticité cérébrale engendre de nouveaux neurones. Ces nouvelles synapses peuvent voir leur nombre augmenter après quatre-vingt ans si on entretient sa mémoire, si l’on multiplie les activités. Tout est possible ... langues étrangères, sports, politique... C’est nos activités qui déterminent l’état de notre cerveau et non l’inverse, comme on l’a longtemps cru.
À qui la faute ?
Alors, pourquoi avons-nous tant d’idées reçues sur nos aînés ? Reflet d’une société capitaliste, dont l’essence même est d’accumuler et de créer sans cesse ? Une culture qui valorise la beauté, la force, la jeunesse, la productivité ? N’avons-nous pas finalement peur de mourir ? Or, les nombreuses rencontres de Marcel Amont viennent bousculer ce regard a priori négatif. Aux antipodes des idées reçues, vieillir ce n’est pas toujours perdre, mais c’est disposer de cette capacité à s’adapter à soi-même et c'est accumuler un capital d’expériences que l’on peut transmettre, telles des petites graines semées autour de soi... Les vieux ne seraient donc plus des déchets bons à jeter, mais des engrais prometteurs d’une vie sans cesse renouvelée, des exemples à suivre.
L’un des privilèges de la vieillesse c’est d’avoir, outre son âge, tous les âges. — Victor Hugo
En cela, le rythme/montage du film sert bien son propos. En alternant les plans fixes des interviews et les déambulations de Marcel Amont sur les trottoirs en ville ou dans les trains, nous voyons apparaître en filigrane une allégorie de la vie. En vieillissant, en prenant de l’âge, l'être humain continue toujours à avancer tout en s'enrichissant de nouvelles connaissances/rencontres (humaines ou autres) et en célébrant la vie.
Foi de Marcel !
Manu Bollen
L'épisode évoqué ci-dessus fait partie de la saison 3 de la série documentaire.
Les deux premières saisons de Pourquoi nous détestent-ils ? sont déjà disponibles en DVD dans nos collections.
Pour aller plus loin dans la réflexion :
le point de vue de la journaliste et essayiste française Laure Adler