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Pointculture_cms | critique

#notallmen - « Promising Young Woman », un film d’Emerald Fennel (2020)

Promising Young Woman
Sous des airs de comédie parsemée de quelques touches de thriller, Promising Young Woman fait un constat assez douloureux d’une société dominée par les hommes.
« Elles se mettent en danger, les filles comme ça. Si elle ne fait pas attention, quelqu’un va en profiter. Surtout le genre de mecs dans ce club… Elle est vraiment pas mal. » — dialogues entre mecs au début du film

Conversation entre hommes d’une trentaine d’années, hommes propres sur eux, hommes qu’on a vu danser en gros plan (un gros plan sur les hanches et sur leur bite – un bon début pour un film). Ils sont un peu saouls mais bien moins que cette bimbo blonde complètement dans le cirage, peinant à rester assise sur une banquette. L’un deux s’avance vers elle et lui demande aimablement si elle va bien, elle marmonne qu’elle ne trouve plus son téléphone. Il lui propose de la reconduire chez elle ; dans l’Uber, il lui demande si elle veut encore boire un dernier verre chez lui et elle accepte à demi-mot. Il lui sert de la liqueur de kumquat qu’elle touche à peine ; elle demande à se coucher, elle se sent mal. Il commence à la caresser, lui enlève sa culotte, elle bafouille, lui demande ce qu’il fait d’une voix empâtée.

Coupure.

Elle – Cassandra – se relève d’un coup et lui demande haut et fort, d’une voix claire et totalement sobre : « Que fais-tu ? Attends ! »

Générique.

Cassandra (Carey Mulligan) marche dans la rue, elle a quitté le mec qui a voulu profiter d’elle après l’avoir intimidé verbalement (ou plus ?) et l’avoir remis à sa place. La bande-son accompagne les images avec cette délicieuse reprise de la chanson pop des Weather Girls (encore plus connue dans la version de Britney Spears), « It’s Raining Men ». Et là, bingo ! Elle se fait harceler en rue par des ouvriers. Elle s’arrête, les fixe longuement. Ils tentent de se rattraper mais c’est encore pire. Une fois chez elle, elle sort un carnet et y rajoute un trait, un de plus parmi toutes ces pages déjà bien remplies. Le spectateur comprend qu’elle s’est donné une mission, celle de se venger de ces hommes trop entreprenants. Quelles sont ses motivations ? La suite de l’histoire le dévoilera par bribes, proposant des scènes successives de vengeance mettant en scène des hommes, mais aussi les femmes qui se voilent la face depuis toujours.

« Vous savez, nous entendons constamment des accusations de ce genre, une ou deux par semaine. Mais vous savez, si elle avait bu, peut-être qu’elle ne se souvenait pas de tout… » — la doyenne de l’université

Quelle femme n’a jamais vécu ce genre de situation ? Qui ne s’est pas fait harceler en rue ? Qui ne s’est pas retrouvée dans un bar, complètement ivre, ou même avec juste un verre en trop ? Qui n’a pas fait confiance à un homme pour la ramener, n’imaginant jamais qu’il pourrait profiter de la situation ?

Ce film montre la violence quotidienne faite aux femmes, mais aussi la violence d’une femme envers les coupables. Sauf que cette violence est très mesurée : il n’y a pas de sang qui coule, il n’y a pas d’acte sexuel, il y a surtout une grande intelligence, une maîtrise de l’art verbal et un degré certain de manipulation pour pousser les hommes et les femmes qui nient le problème dans leurs derniers retranchements et leur infliger une peur qu’ils n’auraient jamais imaginée. Cassandra remet en cause les stéréotypes, les normes genrées : elle n’est pas une douce victime, mais elle n’est pas non plus un monstre capable de la pire cruauté.

Elle est également pleine de nuances : si elle prend sa mission à cœur, sa vie personnelle est un désastre : elle a abandonné ses études de médecine, travaille dans un café et vit encore chez ses parents. On est loin ici des classiques films de « rape and revenge », de viol et vengeance. Ce type de films met en scène une femme qui tente de trouver la justice, avec l’aide de la loi ou sans elle. Mais très souvent c’est un proche de la victime, en général un homme, qui prend le viol comme excuse pour montrer sa masculinité faite de violence et de machisme. La Dernière Maison sur la gauche de Wes Craven est l’exemple type de ce genre de film. L’excellente série anglaise I May Destroy You propose un regard plus contemporain, proche de Promising Young Woman : l’héroïne ne se souvient que de quelques bribes d’une soirée trop arrosée puis, au fil des épisodes, se rend compte qu’elle a été violée et tente de retrouver le coupable alors que sa vie part à vau-l’eau.

Il est d’ailleurs intéressant de constater que le mot « viol » n’apparaît jamais dans le film, mais bien toute une collection d’euphémismes, du genre « les femmes se mettent en danger », « elle l’a demandé », « des circonstances exceptionnelles », « un mauvais choix », répétés sans fin jusqu’à ce qu’ils perdent leur signification. Pas que le mot soit nécessaire, ni même une ou plusieurs scènes filmant l’acte : le spectateur comprend très vite le sujet du film.

Il y a un côté pop dans le film, avec des couleurs acidulées, les robes à fleurs et rubans de Cassie et une bande-son composée de hits sautillants. C’est un choix de la réalisatrice, Emerald Fennell, qui a confié la tâche de supervision musicale à Susan Jacobs, et qui dès le départ, dès le script, avait inclus des chansons comme « Stars Are Blind » de Paris Hilton. Jacobs est partie d’une liste de chansons qu’elle a essayé d’insérer au meilleur moment possible, la musique ou les paroles commentant souvent l’action, comme cette reprise instrumentale très reconnaissable de « Toxic » de Britney Spears, écrite par Anthony Willis, le compositeur du score, ou l’ode aux garçons de Charli XCX, « Boys — DROELOE Remix » au début du film, dans la scène où on voit les entrejambes des hommes qui dansent. L’inclusion de « Something Wonderful » venant de la comédie musicale The King and I n’est pas innocente non plus, avec ses paroles qui disent « This is a man you’ll forgive and forgive / and help protect, as long as you live » (« C’est un homme à qui tu pardonneras tout, encore et encore / et que tu protégeras, aussi longtemps que tu seras en vie »).

« Entre vous et moi, il semblerait qu’elle n’était pas très bien. Dans sa tête, je veux dire. Son père avait l’air de penser qu’elle était un peu instable » — un policier qui mène l’enquête

Qualifier ce film de thriller/comédie est particulièrement réducteur. Oui, il y a des passages drôles, heureusement, et oui, il y a une certaine tension, surtout à la fin, mais ce film parle de beaucoup plus de choses, de sujets qui touchent l’entièreté de la société. Et qui renvoient à tous ces faits d’actualité récents, qui parfois atteignent la presse quand il y a une mort, un suicide, comme cette jeune fille de 14 ans qui s’est ôté la vie après qu’une vidéo d’elle nue ait circulé sur le net. Mais ce dont la presse parle, ce n’est que le sommet de l’iceberg. En tant que femme, ce film m’a régulièrement mise mal à l’aise, je me suis trop souvent reconnue dans certaines situations, ou j’ai reconnu des choses qui se passent autour de moi : l’homme gentil qui va protéger la femme puis en profiter, la femme qui se voile la face, le harceleur de rue… Ce premier film d’Emerald Fennel (elle avait travaillé auparavant sur la seconde saison de Killing Eve) fait mal, même si la réalité semble parfois exagérée, même si son cynisme est parfois poussé à l’extrême. C’est un film qui pose des questions.

#metoo #notallmen


Texte : Anne-Sophie De Sutter

Crédits photos : Universal Pictures


Un autre article analyse les stéréotypes du genre dans ce film, ainsi que dans Nobody, qui sort également cette semaine et qui, lui, offre une belle dose de testostérone.


Agenda des projections

Sortie en Belgique le 23 juin 2021

En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes:

Bruxelles, UGC Toison d'Or

Louvain-La-Neuve, Cinescope

Charleroi, Pathé

La Louvière, Le Stuart

Liège, Le Parc et Sauvenière

Bastogne, CineXtra

Namur, Cinéma Caméo

Namur, Acinapolis

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