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Pointculture_cms | critique

COEUR AILLEURS (LE)

publié le

Le terme « ailleurs » est à double sens, selon qu’il désigne une réalité concrète ou qu’il en formule sa négation, sous-entendant alors « hors dumonde ». Motivé par ses propres déceptions amoureuses et, plus profondément, par un sentiment […]

Le terme « ailleurs » est à double sens, selon qu’il désigne une réalité concrète ou qu’il en formule sa négation, sous-entendant alors « hors dumonde ». Motivé par ses propres déceptions amoureuses et, plus profondément, par un sentiment d’inappartenance, Pupi Avati réécrit l’histoire classique du conflit entre idéalisme et opportunisme. « Ailleurs » pour Angela, c’est « autre part », pour Nollo, c’est « nulle part ». Leur relation s’enracine dans cette impossibilité que seul l’amour permet, mais que le besoin concrétise cruellement. Malgré le déséquilibre, certains éléments s’emboîtent: elle est aveugle, il se trouve laid; elle cherche un appui et de l’argent, il ne désire rien tant que de se dévouer; elle est gâtée, exigeante, ingrate, il est généreux, modeste, soumis. La stabilité d’une relation fondée sur l’intérêt dépend  de celle de ses paramètres; toute modification trahit l’absence de contrat et une dissolution immédiate de l’accord.

Cela se passe en Italie, dans les années 20. Les conventions ont leur importance, à tel point qu’elles pourraient prétendre au titre de personnage secondaire tant ce qu’elles imposent à l’individu prend ici la forme d’un destin. Ainsi Nollo, âgé de trente-cinq ans, se voit-il sommé par sa famille de trouver femme, la responsabilité de la descendance lui incombant depuis la mort de son frère. Hélas ! Nollo est aussi gentil qu’encombrant. Que fait-il de ce long corps embarrassé, contraint et tellement gauche? Sa maladresse le prive de toute sensualité. Que fait-il de la ferveur de son érudition si ce n’est renvoyer de lui-même l’image ridicule du professeur qui radote ? Conscient de ses défauts, l’humilité achève de lui retirer tout charme aux yeux des femmes. Même cette sœur aveugle, plutôt disgracieuse, qu’on lui présente, finit par se moquer de lui. Alors il rencontre Angela, aveugle elle aussi, mais belle comme un rêve inaccessible. Une chance : elle a besoin de lui. Qu’importe le reste, l’essentiel est qu’elle sente tout de suite le profit qu’elle peut tirer d’un jeune homme aussi disponible. Les voici donc brièvement réunis, et la bonne société forcément crie au scandale. Angela commande le champagne, affiche son ivresse et son dédain, défie son entourage. A quelques pas,  toujours respectueux et servile, Nollo se tient à sa disposition, éperdu d’amour.

Avec ses tons moelleux, rouges et or, la reconstitution d’époque reste discrète et de bon goût. Plutôt suggestive, la demi-teinte est la mesure de ce film tragi-comique dans lequel le malaimé reste jusqu’à la fin capable de rire de lui-même. L’aveuglement, s’il faut en avoir une lecture métaphorique, se manifeste moins vis-à vis d’autrui que dans une opacité à l’égard de soi-même. Sans doute y a-t-il là quelque naïveté, en ce qu’Angela, malgré ses allures de princesse et son égoïsme, a finalement bon cœur, et que Nollo paye pour son indéfendable ingénuité, mais cette naïveté préserve le film de tout manichéisme. Quant à l’Italie des années 20, elle transparaît comme un écho lointain, une ambiance qui se précise dans certains détails (lire Virgile plutôt qu’Ovide, ne pas épouser une femme « diminuée », vénérer le pape et la tradition catholique…) parce que ces détails nourrissent l’intrigue, sans prétendre à la fresque historique. Le passé est un « ailleurs » préalable qui renforce d’autant ceux qui fondent le film. Et comme fantasme désolé d’un réalisateur, celui-ci, quoique légèrement désuet, n’est pas dénué de charme.

Catherine De Poortere

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