PAUL DANS SA VIE
Paul Bedel aura bientôt 75 ans. Il est vieux garçon, paysan, pêcheur et bedeau. Il vit à Auderville dans une ferme d’un autre âge avec ses deux sœurs cadettes, célibataires elles aussi. Cette année, ils raccrochent, « ça va faire un vide dans le paysage... ». Ce paysage du cap de la Hague où l’air est vif, les vents imprévisibles, le granit rugueux et l’horizon immense. Paul est né ici et il y mourra. Il s’y prépare. Non sans s’être acquitté de l’essentiel: transmettre son héritage.
Ce film évoque la dernière année de travail du vieux paysan et dresse un portrait sensible et authentique d’un homme hors du commun qui n’a jamais pris le train du progrès et préfère vivre au rythme des saisons, à l’heure du soleil. Paul vit comme les « anciens », en respectant profondément la nature. Pour lui, le temps s’est arrêté à la mort de son père. Depuis, il maintient une structure familiale archaïque où il domine comme frère aîné, vivant avec ses sœurs, de la vente de beurre, de crème et de viande. Sa situation sociale et économique rappelle celle décrite dans Profils paysans de Raymond Depardon (1). Cependant, Rémi Mauger parvient à s’extraire de la référence écrasante du cinéaste et, en dépit de leur terreau commun, injecte à son film un souffle personnel qui oscille volontiers entre sensibilité, drôlerie (on pense parfois à Jacques Tati ou Buster Keaton) et tragédie implacable.
Le réalisateur s’est attaché au vieux Paul et à son univers et le suit de près sans condescendance ou misérabilisme dans ces rudes tâches quotidiennes, aidé par un matériel anachronique. Comme Depardon, Rémi Mauger a le goût du plan simple, de la terre foulée, de l'effort des corps, de l'usure des gestes, de la beauté du trivial et de la grandeur du modeste. Qu’il évoque ses souvenirs d’enfance et livre ses secrets, qu’il s’amuse à philosopher ou qu’il se taise, Paul irradie presque chaque image de son visage serein et souriant. On se surprend à redécouvrir, avec plaisir, tous ces gestes d’antan, ce lien qui unit l’homme et la nature à travers des images qui rappellent les tableaux de Millet. Le réalisateur raconte une histoire de temps qui passe, celui qui réconcilie les êtres et leurs racines. Une histoire de mémoire, d’héritage et de transmission aussi, illustrée par la présence de Fabrice, un enfant du pays qui, comme beaucoup d'autres, se prépare à partir.
Avec pudeur et tendresse, Rémi Mauger embrasse les contours d’une personnalité tout en nuances, dépassant de loin l’image d’Épinal du paysan bourru et volontiers réactionnaire. La modernité incarnée - en arrière plan - par la construction de la centrale de La Hague le peine bien évidemment, mais lui fait aussi dire qu’elle a permit d’améliorer la qualité de vie des locaux et de sauver le village d’un dépérissement annoncé. Paul est un sage. Un sage qui parle bien.
Par ailleurs, le cinéaste inscrit son personnage dans un environnement magnifié par le soin apporté à chaque image. La caméra de Guy Milledrogues scrute la nature, ses variations de luminosité, les perspectives fuyantes, courbes ou rectilignes qui caressent le regard entre la rudesse de la caillasse et la douceur des champs cultivés. Le montage est rythmé, enchaînant notamment les plans fixes sur les champs déserts ou les matins brumeux et les séquences de labeur, révélant le rapport fusionnel de l’homme avec la nature.
Chronique à la fois grave et légère, tendre et mélancolique, Paul dans sa vie est un hommage poétique, un précieux témoignage d’un mode de vie en voie de disparition.
Catherine Mathy
Notes : Paul dans sa vie a obtenu de nombreux prixdont le FIPA d’Argent 2005, Prix découverte 2006 de la SCAM, Prix du jury du Festival Imaginer/Planète Thalassa, le Prix littéraire du Cotentin, le Prix de la meilleure oeuvre de télévision 2006 par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des Films de Télévision…
1. Le DVD Profils paysans de Raymond Depardon est disponible dans les collections de la Médiathèque - TJ7441