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Pointculture_cms | critique

JUSTICE À VEGAS, Vol. 5 - UNE ARME À PORTÉE DE MAIN

publié le

La justice vue des coulisses

 

La justice vue des coulisses

 

Voici l'une des séries documentaires les plus palpitantes depuis les aventures du Commandant Cousteau : ça a la couleur des Experts, ça a l'odeur des Experts, ce n'est pas Les Experts; c'est la justice américaine en immersion totale, telle qu'elle est rendue à Las Vegas !

Fondée par les Mormons en plein désert du Nevada à la fin du XIXesiècle, Las Vegas gagna rapidement le surnom de Sin City en devenant dès les années 1930 un haut lieu de la prostitution et des jeux d’argent. Multipliant les casinos et les complexes hôteliers, la ville est depuis devenue LaMecque du jeu. Ses 120000 chambres d’hôtel accueillent quarante millions de touristes par an, tandis que sa population a triplé en vingt ans. Elle compte actuellement deux millions d’habitants.

Ce qui a poussé le Franco-Américain Rémy Burkel à poser ses caméras à Las Vegas dès 2006, c’est avant tout le revers de la médaille: sous ses multiples paillettes et faux-semblants, la ville détient les tristes records de taux de criminalité, de condamnés à mort, de suicides, de vols, d’agressions, de consommation d’alcool, de mariages et de divorces les plus élevés des États-Unis. L’équipe du tournage s’est donc efforcée dans un premier temps de gagner la confiance d'une poignée de « petites mains » qui apparaissent dans la série coproduite par Arte et Sundance Channel : avocats commis d'office ou non, enquêteurs de police et de l'assistance judiciaire, adjointes au procureur visiblement tout droit sorties de la puberté, traducteurs, médecins et experts en tous genres. Il est d'ailleurs intéressant de mentionner que la production fut si bien acceptée au sein de cette petite faune qu'elle put élire domicile dans le bâtiment des avocats commis d'office pendant les trois années qu’a duré le tournage.

N’abusant jamais de la confiance que lui accordent ses intervenants, le réalisateur se garde bien d'émettre le moindre jugement quant aux affaires traitées, recueillant simplement le point de vue des uns et des autres, se contentant d'énoncer les faits plutôt que de les dénoncer, sans jamais en altérer la chronologie.

1Et d’ailleurs, les situations parlent d'elles-mêmes: de la jeune mère de famille complètement accro à un homme violent (Le choix de Gladys, qui est actuellement en pourparlers pour une adaptation cinématographique), au vieillard visiblement dérangé (Misérable solitude), en passant par la fratrie meurtrière (Enfances massacrées), les règlements de comptes entre gangs (Une balle, des vies perdues) et une histoire de légitime défense plus que douteuse (Une arme à portée de main), les cinq cas sont traités avec un même souci d'objectivité. Et malgré un montage et un rythme qui n'ont rien à envier aux meilleures séries policières (musique incluse), les créateurs de Justice à Vegas ont su passer du suspense à l'émotion avec tact (si l'on excuse les titres racoleurs et la version française digne d'un mauvais téléfilm) tout en s'offrant quelques passages assez bon enfant, comme ce tirage à pile ou face entre deux avocats pour se partager les témoins à interroger. On apprendra également que les avocats commis d'office se réunissent au sein de la Murder Lounge, sorte de groupe de parole où sont discutées les affaires courantes.

Cette mise en abyme permettra au public de comprendre les différents rouages de la justice américaine dans tout ce qu'elle a de plus spectaculaire: si l'on sait qu'Outre-Atlantique, les procès mettent en scène une défense et une accusation arbitrées par un juge sous les yeux de douze jurés (à qui la décision finale appartient), le spectateur européen risque d'être sidéré au vu des négociations qui peuvent être menées. Ainsi, en vue d'éviter des procès longs et coûteux, le procureur peut proposer aux avocats de l'accusé un plaider-coupable en échange d'un allégement de la peine. Et souvent, c'est un seul mot qui fait la différence : « avec » ou « sans » conditionnelle, la détention à perpétuité sans libération conditionnelle possible étant la peine la plus forte juste derrière la peine de mort, toujours d'application dans le Nevada.

On notera en outre la différence de traitement entre les accusés, selon que ceux-ci bénéficient de revenus confortables (et donc d'une possible caution) ou non, de même que la façon dont sont traités certains témoins, l'un ou l'autre parti leur faisant un subtil chantage à l'expulsion en fonction de leur déposition (la communauté latino-américaine du Nevada représente plus d’un quart de la population, sans compter, bien entendu, les nombreux ressortissants illégaux).

En outre, l'omniprésence de Dieu dans les tribunaux américains fera frémir n'importe quel défenseur de la séparation entre la religion et l'État, à plus forte raison si celui-ci est agnostique.

Rémy Burkel s'attache évidemment aux affaires particulièrement sordides qui contrastent de façon dérangeante avec les architectures mégalomanes de Las Vegas, où même les centres de détention ont des allures d’hôtels de luxe. Et si le réalisateur évite subtilement la surenchère et le sensationnalisme, d'aucuns seront sans doute gênés par certaines images, notamment dans la présentation des pièces à conviction. Cela dit, on a vu bien pire dans les reality-shows qui prolifèrent depuis des années sur nos petits écrans, et pour une fois qu'une série télévisée présente la vie réelle sous un angle aussi captivant, on aurait tort de se priver !

Catherine Thieron

 

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