Des révoltes qui font date #34
1830 // Révolution belge de 1830 / La Muette de Portici d'Auber
Sommaire
Contexte politique
En 1814, après la chute du Premier Empire, la Belgique, française depuis 1797, se retrouve sous l’autorité des Coalisés. En 1815, le Congrès de Vienne, chargé, entre autres, de redéfinir les frontières européennes, consacre un nouvel État rassemblant la Belgique, la principauté de Liège et les Pays-Bas, sous la couronne de Guillaume Ier, héritier de la maison d’Orange-Nassau. Cette union, décidée lors de ce congrès, tenait compte d’enjeux commerciaux et politiques mais nullement du sentiment des populations. Très vite, la gouvernance des Hollandais apparaît illégitime aux yeux des Belges. Majoritaires en nombre d’habitants, ils sont sous-représentés dans les postes clefs et au sein des États Généraux. Ils doivent également supporter pour moitié une dette contractée principalement par le Nord. Sur le plan religieux, la coexistence entre Belgique catholique et Pays-Bas protestants était aussi source de ressentiments puissants, tandis que l'application de la Loi fondamentale, constitution hollandaise, lésait aussi le sud du pays. Dès 1825, les Catholiques et les Libéraux belges forment l’Union des oppositions pour défendre la liberté de l’enseignement, de la presse et de la religion. C’est dans ce contexte que va s’exprimer l’aspiration à un séparatisme administratif.
Les évènements de 1830
Paris vit sa deuxième révolution en juillet 1830, connue sous le nom des Trois Glorieuses. Ces trois jours de combats de rue aboutiront au renversement de Charles X et à l’avènement de Louis-Philippe, « roi des Français par la volonté nationale ». Rien de tel pour échauffer les esprits de leurs voisins belges, déjà animés d’une sourde colère à l’encontre de leur souverain. Depuis quelques semaines, on voit germer graffitis et tracts, et des lectures publiques de journaux français se multiplient aux coins des rues. À La Monnaie, La Muette de Portici, d'abord interdite, est finalement autorisée à l'occasion des célébrations d'anniversaire de Guillaume Ier, le 25 août. Les spectateurs, électrisés par la représentation, sortirent en clamant « Vive la liberté », « Aux armes » ou encore « Au National », organe de presse gouvernemental, qui sera saccagé en premier. De nombreuses habitations de notables, commissariats et bâtiments orangistes seront aussi la cible des insurgés, et quelques armureries et magasins de jouets (pour y voler des tambours !) seront pillés. On compte une vingtaine de morts parmi les manifestants au Grand Sablon. La place Royale sera aussi le théâtre de tirs sur les émeutiers. Les affrontements seront maîtrisés par les autorités trois jours plus tard.
Auteur inconnu, La rue de Flandre le jeudi 23 septembre 1830
Mais il n’y aura pas d’apaisement pour autant. Si le roi accepte de recevoir une délégation de Bruxellois et de Liégeois, il ne semble cependant pas prêt à les écouter. Leur représentation à la session extraordinaire de La Haye le 13 septembre n’aboutira à aucune conciliation. La tension continuant à monter à Bruxelles, le prince d’Orange Frédéric pénètre le 23 septembre dans la ville avec une armée de 12.000 hommes. C’est le début des « Quatre journées », épisode sanglant qui verra pousser des barricades et des murs défensifs dans le quartier de la place Royale, du parc de Bruxelles et de la rue Ducale. Si les participants sont principalement brabançons et liégeois, dans le pays entier se manifestent des soutiens : collectes de fonds et de denrées, envois de combattants volontaires, rédactions d’articles et publications de réactions patriotiques… Le 27 septembre, les troupes hollandaises sont reconduites à la frontière nord, vaincues par les révolutionnaires. Selon certaines estimations, on aurait déploré un millier de morts et plus de 4000 blessés. Le 4 octobre, un gouvernement provisoire proclame l’indépendance de la Belgique. Mais Guillaume Ier n’a pas encore renoncé : il fait bombarder Anvers le 27 octobre et lance, en août 1831, douze jours après la prestation de serment de Léopold Ier, une dernière tentative pour reprendre le pays avec la campagne des dix jours. En vain.
La Muette de Portici – Daniel-François-Esprit Auber
Que vient donc faire dans notre histoire cet opéra français, créé deux ans plus tôt à Paris ? Écrit sur un livret de Germain Delavigne, repris et transfiguré par Eugène Scribe, il dépeint le soulèvement populaire de Naples en 1647 contre le régime de la vice-royauté espagnole, qui aboutira à la fondation de la République napolitaine. Considéré comme le premier à appartenir au genre du grand opéra, il se caractérise par une intrigue portant sur des faits historiques dramatiques, un découpage en quatre ou cinq actes, des scènes de bravoure et de grands effets musicaux et scéniques. Ces derniers ont été très remarqués lors de la création de l'opéra à Paris, lorsque Fenella, la muette, se jette dans les flots de lave du Vésuve, dans une profusion d’effets spéciaux sidérants pour l’époque, soutenus par des effectifs choraux et instrumentaux impressionnants. Mais le public de la Monnaie, au soir du 25 août 1830, ne verra pas cette scène...
A l'affiche au théâtre de La Monnaie depuis le mois de septembre 1829, l’œuvre avait été censurée lorsque le climat politique s'est dégradé en écho à la révolte française, les autorités craignant des troubles à l'ordre public. Lorsque sa représentation fut à nouveau autorisée, ce 25 août, il fallut bien peu pour exacerber les sentiments patriotiques du public. Le célèbre duo du deuxième acte, « Mieux vaut mourir – Amour sacré de la patrie », avait en effet toutes les chances de galvaniser les auditeurs.
Duo de Masaniello et Pietro - Acte II
Amour sacré de la patrie,
Rends-nous l'audace et la fierté ;
À mon pays je dois la vie ;
Il me devra sa liberté.
Ces vers furent chantés par le baryton Cassel et le ténor Jean-François Lafeuillade. Ce dernier, échauffé, s'interrompt au troisième acte pour lancer le cri de ralliement qui mettra définitivement le feu aux poudres. Son "Aux armes" précipitera la foule hors du théâtre avec les conséquences décrites plus haut. Le 12 septembre et dans la même salle, ce même chanteur entonnera le premier la Brabançonne nouvellement écrite.
Jean-François Lafeuillade
Malgré des faiblesses musicales incontestables, l’opéra d’Auber aura marqué l’Histoire. S’il n’est quasiment plus jamais joué dans les maisons d’opéra, il a gardé sa force symbolique. Comment expliquer autrement que la représentation prévue à la Monnaie au début des années 2010, en coproduction avec l’Opéra-Comique, ait été annulée pour des raisons politiques !
Et, à ce jour, aucune gravure filmée n’existe sur le marché du DVD. Un manque à combler…
Nathalie Ronvaux
Photo de bannière : Gustave Wappers, Épisode des Journées de septembre 1830 (sur la place de l'Hôtel de Ville de Bruxelles) et extrait de la partie de clarinette de l'ouverture de « La Muette de Portici » d'Auber
Cet article fait partie du dossier Des révoltes qui font date.
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