« Rire en temps de crise » de Marie Mandy
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« Je ris plus. J’arrive plus à rire. Ça se déclenche pas. » « J’étais très joyeuse quand j’étais beaucoup plus jeune, mais… » « Je suis quelqu’un qui a un corps très rigide. Et je ne ris pas. » « Comme tout le monde, j’ai perdu le rire parce que… ben parce qu’on s’en prend tous plein la tête, hein. » — intervenantes et intervenants du documentaire
Le rideau s’ouvre sur des visages fermés. Leur succèdent de tristes silhouettes de béton, barres d’immeubles bientôt envahies par le flot sonore des nouvelles anxiogènes déversées aux informations (flambée du prix des matières premières, montée du niveau des mers, crise des migrants, crise climatique). De quoi faire perdre le rire à certains d’entre nous. Et – simple hypothèse – ça ne doit pas s’être beaucoup arrangé depuis le tournage, en 2018, de ce documentaire de la Belge Marie Mandy (Oui mais non, le compromis à la belge)…
Rire sans humour
Le rire est le propre de l’homme, disait Rabelais. Quid s’il se raréfie, se tarit ? « Serions-nous en train de nous déshumaniser ? Oui, il y a peut-être une inquiétude de ce côté-là », confesse la réalisatrice dans sa note d’intention.
Marie Mandy est donc partie sur les traces de la rigologie, ou thérapie psychocorporelle par le rire. Payer dix euros la séance pour retrouver sa joie de vivre, vraiment ? Et peut-on rire sur commande ? Le mouvement est parti d’Inde, et d’un constat, fait par Madan Kataria, un médecin de Bombay : « Ses patients joyeux guérissaient mieux que les autres ». L’intuition peut apparaître simpliste ; elle pousse pourtant le généraliste à concevoir, dès les années 1990, le « yoga du rire », une discipline qui depuis a fait des émules. Comme chez la Française Corinne Cosseron, fondatrice de l’École internationale du rire et qui a voix au chapitre dans le documentaire.
J’ai été sidérée d’apprendre qu’il y avait des gens qui ne riaient pas (…). Et en fait, il y en a des tas, il y a des tas de gens qui ne rient plus du tout ! — Corinne Cosseron
C’est elle, d’ailleurs, qui explicite peut-être le mieux les enjeux de l’enseignement, auquel elle a consacré sa vie : faire parvenir qui le souhaite à un salvateur mélange de rire et de respiration sans qu’il soit pour cela question de faire appel au mental, donc à l’humour. Cosseron n’est pas la seule convaincue : 8000 clubs de rire existent de par le monde.
« Jogging stationnaire »
Rire pour guérir, quelle que soit l’affliction. Les bienfaits de son lâcher-prise sont apparemment innombrables. Le rire, nous rappelle un formateur en rigologie, est une activité physique intense qui mobilise pas moins de 4000 muscles. Il suppose une onde musculaire et donc un « jogging stationnaire », comme aime à l’imager Henri Rubinstein, neurologue spécialisé dans la psychosomatique du rire. Où l’on apprend que dix minutes de rire plein offrent la même dépense calorique que 30 minutes de footing... Le rire protège le corps, fait baisser la tension artérielle, régularise le cœur et la digestion, rééquilibre l’organisme, contribue à une libération émotionnelle générale.
Groupes de rigologie, séances de pose dans la « LOL Box » (un projet du photographe David Ken destiné à immortaliser des éclats de rires dans les hôpitaux), recueil de témoignages sur fond de villes stressantes et d’embouteillages (pas sûr que l’idée d’interroger les protagonistes au volant de leur voiture soit la plus judicieuse) : la sortie d’hôpital psychiatrique de Ludo, Bruxellois en burn-out de 28 ans, fait office de (mince) fil rouge narratif au sein d’un documentaire à la structure un peu légère. Ne pas s’attendre ici à un exposé scientifique, philosophique ou historique sur le rire : ces informations sont à saisir au compte-gouttes d’un documentaire rapidement divertissant qui filme surtout des parcours.
Reste que l’importance du lien, du contact entre les corps nous saute d’autant plus aux yeux à l’heure de la distanciation sociale. Que deviennent les séances de rigologie par écrans interposés ?
Ysaline Parisis