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Il y a énormément de raisons pour se ruer avidement sur ce disque… Robert Millis, son auteur, est reconnu pour son activité au sein du groupe de Seattle Climax Golden Twins , qui explore depuis près de dix ans une musique basée autant sur l’improvisation instrumentale que sur l’utilisation du field-recording et, plus étonnant, de la fascinante collection de 78 tours qu'il a rassemblée depuis des années. En incluant ces pièces rares de musique exotique du début du siècle précédent, que ce soit sous forme de collage, de fragments de citations, ou bien comme base matérielle à un re-travail plus radical, Climax Golden Twins réussissait à créer une musique à la fois déconcertante et familière, partant de réalités concrètes et les détournant vers leur forme très personnelle de composition. Néanmoins, Millis disait regretter parfois ne pas pouvoir, au sein de Climax Golden Twins, mieux mettre en valeur l’histoire de chacun des disques qu’il sortait de l’oubli. Ce fut le travail qu’il réalisa avec l’anthologie Victrola Favorites, l’un des albums les plus attachants de l’année passée ; il y exposait « en clair » des pièces déjà utilisées, par bribes, dans ses autres disques, accompagné d’un très beau livret mettant en valeur l’admirable graphisme désuet des pochettes et des étiquettes de ses 78 tours. Avec cette sélection de disques choisis parmi sa collection, il exhumait, à l’instar de la compilation « Black Mirror » de Ian Nagoski sortie la même année, un répertoire qui mettait en lumière le riche patrimoine musical sauvegardé par ces enregistrements.
Avec ce premier album solo, Millis revient à nouveau à ces musiques, autant comme témoignage que comme matière sonore, façonnant un travelogue qui est un juste milieu entre le respect objectif de la source et un détournement vers des horizons plus personnels. En quatre pièces distinctes, il développe une subtile tapisserie sonore où se rencontrent des éléments aussi éloignés que les curiosités issues de sa collection, des bribes de conversation, des enregistrements de terrain allant de l’exotique au familier, et des couches de drones électroniques. Si une première approche pouvait faire craindre un banal collage où tout pouvait être combiné avec n’importe quoi, on prend rapidement conscience du soin qu’a apporté Millis à l’association des sons les uns avec les autres, construisant une forme de narration semblable à celle des rêves que l’on fait dans un demi-sommeil, possédant une logique interne, une cohérence propre, derrière l’assemblage de cellules apparemment hétéroclites. Certains segments sont enchaînés de manière abrupte, dans un montage quasi cinématographique, mais la majorité procède imperceptiblement d’allusions en allusions, à travers une même atmosphère irréelle. Le souvenir qu’on en garde est celui d’un flottement continu dont émergent par instants des éléments plus précis, plus palpables, avant de s’immerger à nouveau dans un scintillement abstrait d’une grande beauté.
Benoit Deuxant