Samuel in the Clouds (Pieter Van Eecke)
D’une brume épaisse dispersée par un éclat de tonnerre puis chassée par des vents forts, émergent des sommets rocheux enneigés. Traversant le brouillard, un skieur dévale la pente, ignorant les efforts fous d’un groupe d’hommes pour aider bus et camionnettes à gravir la montagne. Ils terminent finalement leur ascension à pied. La fête traditionnelle en hommage au Chacaltaya, le glacier millénaire, peut alors commencer. Les couleurs vives, les pas de danse et la musique agitent gaiement une petite parcelle de montagne. Celle-ci semble accueillir l’évènement en restant impassible, immense et puissante.
Au sommet, s’accroche désespérément une petite cabane de bois, un de ses quatre murs déjà affaissé sur le vide. Elle offre un confort très rudimentaire, à peine de quoi se protéger un peu du vent et du froid et de faire chauffer de l’eau.
Le film est ainsi construit sur des mondes contrastés tissés autour de la montagne. Autant de sons et d’images mêlés pour raconter les souvenirs toujours présents dans l’écho vaporeux de cette montagne. Autant de regards posés sur elle, plus ou moins conscients des dangers qui la menacent. Dans ce paysage majestueux de la cordillère des Andes en Bolivie, ce qui se joue, c’est le drame de la fonte du glacier sous l’effet des changements climatiques. La disparition de cet environnement entraîne celle d’une culture, celle de la vie de Samuel Mendoza. Depuis plusieurs générations, la famille de Samuel vit et travaille sur la montagne. Samuel s’occupait jusqu’ici des pistes de ski mais, au Club andin de Bolivie, les randonneurs remplacent désormais les skieurs. Le plan du début du film résonne comme un souvenir enfoui dans la mémoire de la montagne autrefois sillonnée de trainées creusées dans la neige par les pistes. Le soir, Samuel scrute maintenant le ciel nocturne puis s’endort. Au matin, il invoque les esprits : « Je vais continuer à monter là-haut. La neige reviendra peut-être ».
Même montagne mais autre monde, celui des scientifiques installés là. Ils analysent les échantillons d’air et de neige. Mêmes témoins impuissants d’une inexorable destruction.
Pour raconter ce qui disparait avec la destruction engendrée par les changements climatiques, le réalisateur belge Pieter Van Eecke choisit de rapporter des regards. Ceux de témoins impuissants (mais pas inactifs) devant la nature qui s’efface, dont celui de Samuel, qui révèle si bien l’inextricable lien entre nature et culture, l’ancrage dans un territoire des pratiques culturelles. La montagne n’est jamais loin dans le film. Même en ville, au pied de la montagne, elle est dans la perspective et dans les reflets. Tout le monde vit ici autour et avec la montagne. Samuel semble même parfois en être une sorte d’incarnation humaine. Mais l’avenir est incertain, à l’image de la cabane qui manque de basculer dans le précipice.
Le bus redescend de la montagne après la fête, la neige fond, Samuel regarde au loin, aussi silencieux que sa montagne, fin du film.
Frédérique Müller