EUREKA
Comment survivre à la violence la plus brutale et gratuite
Comment survivre à la violence la plus brutale et gratuite
? Comment assumer l’état de rescapé ? Comment ne pas se sentir
à la fois vivant et sur le
carreau, avec les victimes ? Comment ne pas franchir la ligne ? Comment se reconstituer après le choc dévastateur ? C’est ce que se propose d’examiner le film Eureka en suivant de près trois survivants d’un massacre, deux enfants frère et sœur et un adulte, chauffeur du bus pris en otage, lieu du carnage. C’est plus qu’un carnage, c’est comme l’explosion d’une bombe névrotique. Contagieuse parce que si procédant d’un pétage de plomb personnalisé, la névrose dont procède la crise est, elle, bien collective. Quand on en réchappe, on porte des germes, on est atteint.
Prise d’otage, traumatisme, serial killer... Tous les éléments sont disponibles pour un thriller traitant de violence sociale déréglée et de catharsis. Le réalisateur filme à rebours de cette piste. Il choisit la lenteur, l’anti-thriller.
La vie suit son cours. Elle s’est arrêtée pour les rescapés, désormais sans repères, le temps ne coule plus, immobilisé. Le mal incube dans des proportions différentes selon les personnalités, leur capacité à se défendre. Dans une sorte d’incompréhension environnante banalisée, cela se marque, pour les victimes, par un retrait du social. Une mise à l’écart. De leur fait, s’isolant dans leur douleur muette incommunicable, mais sans doute aussi du fait des autres ne trouvant plus de connivence avec ces individus dérangés. Et ils sont du reste en position de transgresser un tabou : voient-ils encore nettement la frontière entre vie et mort ? (Et si rien n’est dit explicitement, cette position transgressive se sent). Le film avance lentement, en fixant ce conflit morbide, latent. Une sorte de chancre refoulé, inexpliqué.
L’auteur a choisi une esthétique très photographique. Chaque image donne l’impression d’apparaître lentement devant nous, comme une photo dans son bain révélateur. Puis tout se fige, près de l’éblouissement, avec une mise en place très ritualisée des différents éléments (paysage, arbre, maison, personnage, outils, objets quotidiens, vaches, lumière...). Une fixité anémiée, sans couleurs. Image après image, dans le négatif de la couleur. Jusqu’à installer un effet de ‘déréalisation’ pas seulement esthétique. De cette friction permanente avec le néant, tout est comme chauffé à blanc, sur le point de s’enflammer. Un voile, un linceul lumineux recouvrent presque toutes les images. Les paysages, le mouvement des personnages semblent souvent frôler l’abîme, sur le point de disparaître, s’éclipser. Dans une fureur cataleptique rigide. Une crispation psychotique.
Les trois rescapés vont finalement, par attirance, se retrouver, s’agréger, constituer une communauté du trauma. Et sourdement, chercher la porte de sortie. S’engager dans un road movie thérapeutique. Remonter la pente. Sortir du cratère infernal, revenir vers la vie « normale ». Seul celui qui se sera retourné une derrière fois vers la mort sera retenu dans le dédale traumatique. Le titre optimiste du film permet d’envisager le retour des couleurs...
(Pierre Hemptinne, Charleroi)
carreau, avec les victimes ? Comment ne pas franchir la ligne ? Comment se reconstituer après le choc dévastateur ? C’est ce que se propose d’examiner le film Eureka en suivant de près trois survivants d’un massacre, deux enfants frère et sœur et un adulte, chauffeur du bus pris en otage, lieu du carnage. C’est plus qu’un carnage, c’est comme l’explosion d’une bombe névrotique. Contagieuse parce que si procédant d’un pétage de plomb personnalisé, la névrose dont procède la crise est, elle, bien collective. Quand on en réchappe, on porte des germes, on est atteint.
Prise d’otage, traumatisme, serial killer... Tous les éléments sont disponibles pour un thriller traitant de violence sociale déréglée et de catharsis. Le réalisateur filme à rebours de cette piste. Il choisit la lenteur, l’anti-thriller.
La vie suit son cours. Elle s’est arrêtée pour les rescapés, désormais sans repères, le temps ne coule plus, immobilisé. Le mal incube dans des proportions différentes selon les personnalités, leur capacité à se défendre. Dans une sorte d’incompréhension environnante banalisée, cela se marque, pour les victimes, par un retrait du social. Une mise à l’écart. De leur fait, s’isolant dans leur douleur muette incommunicable, mais sans doute aussi du fait des autres ne trouvant plus de connivence avec ces individus dérangés. Et ils sont du reste en position de transgresser un tabou : voient-ils encore nettement la frontière entre vie et mort ? (Et si rien n’est dit explicitement, cette position transgressive se sent). Le film avance lentement, en fixant ce conflit morbide, latent. Une sorte de chancre refoulé, inexpliqué.
L’auteur a choisi une esthétique très photographique. Chaque image donne l’impression d’apparaître lentement devant nous, comme une photo dans son bain révélateur. Puis tout se fige, près de l’éblouissement, avec une mise en place très ritualisée des différents éléments (paysage, arbre, maison, personnage, outils, objets quotidiens, vaches, lumière...). Une fixité anémiée, sans couleurs. Image après image, dans le négatif de la couleur. Jusqu’à installer un effet de ‘déréalisation’ pas seulement esthétique. De cette friction permanente avec le néant, tout est comme chauffé à blanc, sur le point de s’enflammer. Un voile, un linceul lumineux recouvrent presque toutes les images. Les paysages, le mouvement des personnages semblent souvent frôler l’abîme, sur le point de disparaître, s’éclipser. Dans une fureur cataleptique rigide. Une crispation psychotique.
Les trois rescapés vont finalement, par attirance, se retrouver, s’agréger, constituer une communauté du trauma. Et sourdement, chercher la porte de sortie. S’engager dans un road movie thérapeutique. Remonter la pente. Sortir du cratère infernal, revenir vers la vie « normale ». Seul celui qui se sera retourné une derrière fois vers la mort sera retenu dans le dédale traumatique. Le titre optimiste du film permet d’envisager le retour des couleurs...
(Pierre Hemptinne, Charleroi)