MERRIWINKLE
Electroniques et divers claviers malaxent un décor instable de bakélite
et de skaï. Dans l’ombre, aux jointures du décor kitsch, les
sons modulés tentent de décrire de vieilles photos souvenirs,
empilées, fragmentaires, les pétrissant et les noyant dans un
brouillard blanc, aveuglant. Courants d’air à l’âme.
Dans une ambiance d’ondes polaires fristouillantes, de manèges
de fantômes. D’icebergs miniatures en flammes, crépitants.
Sonneries, xylophone, piano jouet rôdent et accentuent une trame nostalgique,
malmenée, lancinante comme une rage de dents. Le magnétisme d’un
passé latent tantôt magnifié, tantôt vécu comme
une menace.
Le chant presque flûté, goutte à goutte, délicat
au palais des glaces. Pour former un chant suspendu, lent, comme une stalactite
translucide en formation. Un chant et une musique laqués, pris dans quelque
chose d’intemporel et d’inachevé. Immobiles comme une scène
dans une boule à neige. Haleine givrée.
Dans la succession des morceaux, la boule va s’agiter. Le chant va retourner
au cri, plainte gutturale, montant du ventre obscur. Grave et désaxé.
Il se fera aussi mélodies gelées sur le point de se briser. Virant
improvisation jazz cabalistique. Il se balade jusqu’à ce que les
syllabes se découpent en tranches, en mots hachés. Comme si l’énonciation
se désarticulait, légèrement défaillante, tombait
toujours juste à côté, glissait vers des mots hybrides,
aux consonances obliques, aux significations contradictoires. Chevauchement
des voyelles et consonnes. Sifflements. Parasites. Interférences.
Quand ça se calme, cristaux en suspension forment de délicates
petites chansons craquantes. Quand ça se déchaîne, tout
est balayé, martelé, mélangé, éparpillé,
méconnaissable. Ondes décharnées. Aphasiques, bredouillantes,
dérapantes, beuglantes. On passe ainsi de parties très agréables,
faciles, à des zones d’un radicalisme chic qui claquent. De l’un
à l’autre, vice versa, avec naturel. Logique.
(Pierre Hemptinne, Charleroi)