Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Pointculture_cms | critique

FLAME DESASTRE

publié le

Avec le temps, la plupart des praticiens d’une certaine orthodoxie rock finissent tôt ou tard par laisser couler un mince filet d’H2O dans le produit de vinification sonore et se rapprocher de la frontière, sans cesse mouvante, de l’« accessibilité ». […]

 

Avec le temps, la plupart des praticiens d’une certaine orthodoxie rock finissent tôt ou tard par laisser couler un mince filet d’H2O dans le produit de vinification sonore et se rapprocher de la frontière, sans cesse mouvante, de l’« accessibilité ». Tout le contraire chez Sister Iodine pour qui l’âge des artères se calcule sur l’évolution de leur imprégnation croissante au mercure !

Si l’on devait en triple vitesse tirer le portrait – en négatif, pour en souligner les contrastes – d’une certaine France (bis) musicale alternative et bizuteuse des conventions routinières, il faudrait revenir sur les Magma, Heldon, Metal Urbain, Deity Guns et autres Bästard (issus de ces derniers et annonçant en temps réel – entre 92 et 97 – 90% du post rock/noise/electronica à venir) qui dans un pays où le rock, et plus encore sous ses formes les plus innovantes ou biseautées, souffre de récurrents problèmes d’acclimatation. Pourtant, quelques années avant la reconnaissance internationale (tant pour les pionniers que pour les fêtards de la « french touch ») de l’electro aux couleurs bleu/blanc/rouge, la France se couvrait déjà d’irréductibles trublions qui, aimantés par les nouvelles manières d’ordonnancer le boucan de la nouvelle scène US – Sonic Youth et Swans en tête – se mettent à leur tour à injecter bruit, dissonances et autres rythmiques bariolées au cœur même de chansons revêches et maintenues pour le bien de la cause en équilibre instable. Au milieu des Heliogabale, Portobello Bones, Prohibition et autres Drive Blind, Sister Iodine (formé en 1992 autour des Erik Minkkinen, Lionel Fernandez et Nicolas Sakamoto Mazet, un noyau encore d’actualité !) se distingue par des pulsations tribales chaotiques héritées de la no wave (ultime excroissance new-yorkaise d’un punk arty obnubilé par le « tabula rasa », à l’aube des années 80, et avec DNA et Lydia Lunch en figures de proue) et une forte inclination au bruit blanc façon Whitehouse, Glenn Branca et… jeunesse sonique.

siDes Sonic Youth jamais en mal de quelques premières parties à offrir à ces impitoyables dérégulateurs de décibelmètres, qui entre deux rares mais carabinées séances publiques de stimulation assistée aux acouphènes (votre serviteur en est témoin) passent sans empressement – à raison d’une fois tous les 3-4 ans – à l’acte discographique tout en multipliant les activités annexes : mise sur pied de Büro, une structure de soutien à l’organisation d’évènements de et autour des musiques électroniques déviantes, et une belle floraison de projets parallèles (Discom, Minitel…). Avec pour effet indirect l’injection de textures et sonorités synthétiques sursaturées comme les pulsations dérégulées d’un paysage façonné par l’industrialisation, dans les soubassements d’un « rock » volcanique dont les strates dissonantes se superposent et interagissent à la manière des couches de lave en mouvement dans le manteau. C’est que côtoyer de près les olibrius (très sérieux) du terrorisme bruitiste nippon (Merzbow, Keiji Haino) n’est pas sans risque ou plutôt sans conséquence.

Paru en vinyle sur leur propre label (Premier Sang) en 2007, Flame Desastre est ressorti en CD en 2009 via les O.R.L. en fréquences nouvelles parasites du label Mego (Fennesz, Kevin Drumm...). Bien qu’envisagé comme un monolithe taillé à même le vacarme, baignant dans un halo de saturation radioactif et inamical, rendant toute approche similaire à une tentative de dépassement du sentiment de misanthropie, ce disque laisse apercevoir deux types de lecture en coupe. Une première, un peu formelle, divise ce quatrième album de Sister Iodine en blocs sonore massifs d’inégales longueurs séparés d’interludes scories (titres de moins de deux minutes) destinés à en souligner les volumes et mesures de densités. Une seconde tiendrait compte de l’ajout ou non d’éléments percussifs. Car, s’il y a effectivement une batterie dans Flame Desastre, c’est moins par souci d’y faire rebondir un rythme et donc d’apporter une certaine idée de temporalité, que de parachever un savant travail de déconstruction massive à coups de drums marteau-pilon. 12 moments (2 de plus que sur le LP) d’agitation sonique apocalyptique aux intitulés ésotériques qui sont autant de déflagrations de guitares triturées dans leur for intérieur et/ou violentées jusqu’à demeurer exsangues, et dont les moindres cris d’agonie gagnent encore en ampleur dissonante et feedback glaçant par le méthodique pilotage électronique dont elles font mathématiquement les frais. Dès l’entrée, « You Lacerate » ressemble à l’écho d’une pluie de bombes téléguidées sur une terre déjà sacrifiée, sifflements de balles traçantes et ondes de choc compris !

Balayant toute idée de mélodie et totalement ramassé sur lui-même, Flame Desastre n’est pourtant pas qu’un énième précis sur le thème déjà bien rabâché du «comment en finir avec le rock» , sous-tendu par l’idée que tôt ou tard, il faudra bien le reconstruire, mais également une sorte de relevé sismographique en douze chapitres d’un nihilisme musical enfin assumé et achevé, quelque part entre le déconstructivisme de l’Einstürzende Neubauten des origines et le Merzbow de toujours. Morceaux exquis : « Napalmee » et sa progression centimètre par centimètre vers le chaos, le râle presque humain s’échappant in extremis des machines-outils de « Trope », et la relative accalmie de « K », comme une illustration par le son des mécanismes quantiques qui règnent dans l’infiniment petit. Et comme ultime démonstration que même ici, l’humour garde quelques droits, les 3 minutes de quasi-silence à la fin de « Chromata Vein » !


YH

logo

 

 

Classé dans