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Pointculture_cms | critique

SONNE = BLACKBOX

publié le

Régulièrement à travers l’histoire de la musique, une période creuse entre deux « révolutions » ou au contraire une période d’abondance, où l’on ne sait trop où donner de la tête, ni surtout quelle valeur accorder aux œuvres qui participent au déluge, […]

Pour les musiciens et les mélomanes qui souffrent de ce doute récurrent à travers l’histoire de la musique, une réponse est d’embrasser le culte du rétro et se plonger dans l’œuvre des précurseurs, afin de chercher le futur là où il est resté, dans les espérances des ancêtres, des anciens qui ont connu l’époque héroïque où il était possible d’être novateur. Ainsi de l’œuvre d’Ursula Bogner, une « trop belle histoire » qui accompagne une série de pièces électroniques d’un avant-gardisme radical pour son époque qu’aurait composée durant ses rares temps libres une pharmacienne de Dortmund au début des années 1970, après quelques années passées à suivre les activités du « Studio für Elektronische Musik » de Cologne, à suivre les séminaires organisés par son fondateur Herbert Eimert, et à s’intéresser à la musique concrète développée en France à la même époque. Sauvées de l’oubli par Jan Jelinek qui les publia sur son label Faitiche, ce sont ainsi des dizaines de bandes qui auraient été découvertes, couvrant une période allant du début des années 1970 à la fin des années 1980. Car Ursula Bogner est elle aussi une rétrofuturiste, une nostalgique, sa musique, ses instruments et sa méthode de travail étaient déjà alors d’un autre âge, pointant vers la grande époque du BBC Radiophonic Workshop, des studios allemands des années 1960, ou d’excentriques Nord-Américains comme Bruce Haack ou Raymond Scott, plutôt que de la musique électronique de son temps. Elle évoque étrangement une version allemande de Ghost Box, une transmission musicale à travers le temps, un message d’un au-delà hertzien à mi-chemin entre l’avant-garde électronique et un radio-art populaire. Belle légende, déguisement charmant, fiction intrigante, cette création très complète de Jan Jelinek, mêlant biographie inventée, imagerie d’époque et reproduction d’une musique d’époque (équivalent sonore du film en costumes), joue non seulement sur la mystique qui accompagne les pionniers de l’électronique, mais aussi sur les différents registres de leur musique. À travers le travesti du personnage d’Ursula Bogner, on convoque non seulement l’électronique des grands studios et celle des ateliers de création radiophonique, mais aussi celle des francs-tireurs, des bricoleurs, des inventeurs fous, ces compositeurs-constructeurs dont l’histoire n’a pas retenu le nom. On y exalte la possibilité d’une musique paradoxalement à la portée de tous, offrant une totale liberté d’action à toute personne suffisamment motivée et enthousiaste pour se lancer dans le travail ardu que représentait alors l’électronique. S’il fallait en effet tout inventer à partir de rien, les instruments, la musique, la production, le public, il n’y avait en revanche pas de limites académiques, d’orthodoxie à respecter, pas de précédents, ni de comparaison possible. Par-delà cette utopie des premiers temps, cette ivresse des découvreurs, ce vertige des défricheurs, il y a également l’idée de renoncer au son et au matériel de notre époque, d’échapper à l’obligation d’une production actuelle, selon les standards du temps, de chercher dans le passé un nouveau départ, plus naïf et plus fou. La musique d’Ursula Bogner n’est pas seulement vintage (si l’on choisit de croire à la légende) ni rétro, elle est à mettre en parallèle avec ses équivalents actuels, elle est à comparer avec ses descendants. On y ressent la joie paradoxale de travailler avec un matériel primitif (selon nos standards actuels, post-analogues) et d’en apprécier les limitations.

Benoit Deuxant

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