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Pointculture_cms | critique

PATAPON - PSP

publié le

Si on place des électrodes sur le cuir chevelu d'un sujet gourmand soumis à la tentation puis – ne soyons pas

1Si on place des électrodes sur le cuir chevelu d'un sujet gourmand soumis à la tentation puis – ne soyons pas

sadiques - à la dégustation, d'un bon petit plat cuisiné avec amour, et que l'on observe, le long de l'axe d'écoulement du temps de son encéphalographe, l'enregistrement de sa courbe d'excitation, on remarquera très probablement plusieurs pics successifs correspondant à différents moments forts : plaisir des yeux, des narines, des papilles gustatives - première déferlante du goût puis ressac des différentes vagues de saveurs cachées… En remplaçant le nez par l'oreille et le fumet parfumé par la musique, c'est aussi un peu ce qui se passe avec l'objet ludique non identifié « Patapon » : plastiquement séduisant dès le premier coup d'œil, s'immisçant par l'oreille dans une zone non-effaçable de notre mémoire sonore, le jeu arrive ensuite à faire mentir la première impression de simplicité qu'il nous donne pour, petit à petit, se révéler sous des jours inattendus et plus complexes et ainsi véritablement exister dans la durée. « Patapon » pourrait être le met exotique et raffiné qui changera à la fois, au moins pendant un temps, le régime routinier des joueurs invétérés et l'image que les non-joueurs se font d'un univers qu'ils méprisent par méconnaissance.

 

DONNEES DE BASE – SCENARIO


1« Il y a bien longtemps, les anciens Patapons possédaient sagesse, courage et force grâce au Tambour du Tout-puissant, le Tambour des miracles. Guidés par le Tout-puissant, les anciens Patapons s'aventurèrent à Earthend, pour LE retrouver. Pour les puissants Patapons, nul ennemi n'était de taille, nul trésor inaccessible et aucune terre hors de portée. Les anciens se battirent avec courage et firent naître une légende qui traversa les âges. Mais, aujourd'hui, les Patapons sont bien loin de leur gloire passée…  » Dans ce contexte de déclin, il s'agira pour le joueur acceptant de se voir confier le maniement du Saint Tambour – et le titre grandiloquent de Tout-puissant - de mener, par la force contrôlée du rythme, le petit peuple déchu vers Earthend, le bout du monde, sa Terre promise. A coups de « pata-pata-pata-pon » (carré, carré, carré, rond) pour avancer et de « pon-pon-pata-pon » (rond, rond, carré, rond) pour attaquer, il s'agira de chasser des sortes d'autruches (motitis) et de bisons (kacheeks) dans la plaine, de récupérer armes, minerais et pouvoirs pour donner naissance à de nouveaux guerriers (et ressusciter ceux tombés au combat) et d'ainsi reconstituer et renforcer son armée ; tout en bravant les éléments météorologiques et affronter les Zigotons - ennemis jurés de toujours - et les monstres de plus en plus coriaces qui habitent les différentes contrées que recense la carte du monde des Patapons (ruines de Knell, marais de Sitoto, gorges de Manten… ).



LE POUVOIR DE STYLISATION :

CHOIX, SIMPLICITE ET SUGGESTION

En cohérence avec les données de départ limitées du jeu (une grammaire à deux verbes - avancer / attaquer – et à deux combinaisons rythmiques), le premier point fort de Patapon, aussi en ce qui concerne son imaginaire et son imagerie, réside d'abord dans une certaine simplicité. Une simplicité bien réfléchie, bourrée de finesse et d'intelligence, où le mot d'ordre, sans doute spontané et implicite, semble avoir été de tourner le dos au réalisme et à la surenchère de détails superflus, au profit du choix d'un petit nombre d'éléments – mais d'un petit nombre d'éléments travaillés, avec une véritable dévotion d'orfèvre, pour en faire étinceller au maximum le pouvoir évocateur. Comme une nouvelle variante du credo «Less is more» de l'architecte moderniste Mies van der Rohe.

1D'abord les Patapons eux-mêmes : tout petits globes oculaires directement montés sur deux gambettes si fines qu'elles sont quasiment invisibles à l'œil nu. Sous la toise, des pieds à la pointe du casque, il ne mesurent pas plus de 5mm ! Autre devise esthétique : « Small is beautiful ». Minuscules, les personnages principaux de ce jeu atypique sont aussi plats (!) et bichromes (!!) : noirs et blancs dans leur triste état de forme du début, il prennent éventuellement quelques couleurs lors des résurrections ultérieures, moyennant des offrandes de viandes ou de minerais au-delà du tout-venant à l'Arbre de vie, mais ils ne perdent pas pour autant leur austérité colorée (noirs et verts, noirs et violets, noirs et rouges… ).

 

1On l'aura deviné, l'option d'une représentation radicalement bidimensionnelle dépasse les Patapons et leurs adversaires vivants (gibier, monstres, Zigotons… ) mais contamine tout l'espace du jeu, également les décors et paysages. A ce niveau-là aussi, les choix sont osés et radicaux : au moins pendant les trois-quarts des missions du jeu complet (je ne suis même pas arrivé jusque là, mais des captures d'écran visibles sur Internet laissent imaginer que cela pourrait changer lors des quelques toutes dernières missions avant d'atteindre Earthend… ), tout ce petit monde évolue latéralement sur une ligne de sol située au sixième inférieur du petit écran de la PSP (à 9mm du bas, sur cet écran de 55mm de haut). En d'autres termes, presque cinq sixièmes de l'image sont dévolus non pas aux « héros » du jeu, mais aux paysages en arrière-plans, à la suggestion des intempéries, aux trajectoires de quelques centaines ou milliers de lances et de flèches qui fendent l'air lors des combats et, de temps en temps, à l'une ou l'autre fortification à réduire en tas de gravats ou l'un ou l'autre monstre géant à affronter sans rechigner. Pour les amateurs de « bling bling », d'effets spectaculaires et de poudre aux yeux, cela peut ressembler à un gros gaspillage du champ visuel mais pour quiconque possède un petit memory stick cinéphile plugé dans le cerveau, cette option de mise en scène et de cadrage en VWS (very wide shot – plan large) rappelle les plus belles heures de certains westerns, péplums ou de quelques scènes de mouvements de troupes dans « Ran » d'Akira Kurosawa. Des films où il s'agissait pendant certaines séquences, voire tout au long de l'intrigue – comme ici, dans le jeu qui nous occupe – de mettre entre parenthèse la singularité du héros individuel, de l'inclure dans un groupe et d'inscrire ce collectif dans un paysage qui le dépasse.

 

LE POUVOIR DE SYNCRETISME :

CURIOSITE, EMPRUNTS ET COMBINAISONS

1Il est largement temps de citer ici celui qui, bien plus que nous, pauvres joueurs, et bien plus que Lui, invisible faire-valoir fictionnel caché au bout du monde, est le véritable Tout-puissant de l'univers Patapon : son père, son Dieu, son créateur graphique, Rolito. Pour sa première incursion dans le monde du jeu vidéo, cet illustrateur français, venu du milieu des toys (jouets plutôt pour collectionneurs ados et adultes que pour bambins) et du design, contacté par les têtes chercheuses de Sony Japon tombées en pamoison devant l'inventive beauté de son site www.rolitoland.com, a bénéficié de la part de ses patrons nippons de conditions de création pour le moins inespérées : « On ne me demandait pas de créer un design sur une trame déjà établie mais de développer mon propre univers, le rêve ! » (interview sur  le blog d'artoyz.com). Et Rolito a utilisé cette liberté avec clairvoyance, réussissant à rendre cohérent et évocateur, à la fois tout de suite attachant et pas lassant à la longue, un univers pictural qui tient autant de l'art précolombien que du théâtre d'ombres (ou du cinéma d'ombres de Lotte Reiniger), de l'esprit du kawaï (au Japon à l'origine, dans toute la société de consommation occidentale depuis lors, une affection esthétique parfois inconsidérée pour le mignon et l'adorable) que de certaines sources orientales de l'Art nouveau… Ou pour les Patapons eux-mêmes, un clin d'œil – conscient ou involontaire? – au logo (œil stylisé sur pattes, lui-même inspiré d'une peinture rupestre Olmèque ou Toltèque) d'Einstürzende Neubauten ou aux globes oculaires (eyeballs) maintenant dans l'anonymat les visages des membres du groupe de music hall expérimental The Residents.

 

1Les Residents… Le nom est lâché… Et il resservira dans quelques lignes ! La combinaison syncrétique d'éléments culturels ou ethniques, puisés aux quatre coins du monde et de notre imaginaire, ne se limite pas à l'image de « Patapon ». Pour faire se déployer le très inventif  univers sonore du jeu, Kemmei Adachi (cf. les autres jeux Loco Roco, Tourist Trophy, Ape Escape… ) et ses collaborateurs ont combiné, en une bande-son tout aussi imaginative que suggestive, une palette de sons disparates unifiés par un traitement électro-pop foutraque et décalé qui évoque irrésistiblement les Residents. A tout seigneur tout honneur, il y a bien sûr d'abord les sons très carrés des tambours Patapon : comme de petites résonances des « tams tams » des indigènes de la première version de « King Kong » (Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper en 1933) ou des tambours des drakkars de vikings dans Asterix… Mais aussi, d'écossaises et guerrières cornemuses, des sérénades de trompettes funk pour arbre sacré en mal de compagnie et de chatoyants bouquets de voix pitchées (dans ce cas-ci, accélérées pour les rendre plus aiguës, c'est-à-dire à la fois plus enfantines et plus mystérieuses et irréelles). Ce qui est souvent très énervant dans la plupart des disques de « fusion » en musiques dites « du monde » devient un atout dans cet univers ludique et imaginaire : aller puiser son inspiration un peu partout donne de l'universalité au monde créé mais, dans un même temps, la combinaison inédite de ces éléments, la manière dont ils sont imbriqués les uns dans les autres, permet de donner naissance à un univers unique qui existe pour lui même et non en tant que copie de quelque réalité que ce soit.

 

RICHESSES CACHEES – PLEIN DEPLOIEMENT PROGRESSIF DU JEU

Au niveau de sa jouabilité (gameplay), « Patapon » fait progressivement mentir la première impression furtive de simplicité qu'il dégage.

En tant que jeu de rythmes, la complexité va croissant. Il y a d'abord les difficultés à maintenir imperturbablement des beats strictement en quatre temps en ne se laissant pas distraire par des éléments sonores perturbateurs de plus en plus complexes (foisonnants, baroques, carnavalesques et poly-rythmiques). A chaque combinaison rythmique battue dans les temps, les Patapons répondent en chœur par le chant : un chant qu'il s'agit de scrupuleusement respecter avant d'enchaîner par un nouveau roulement de tambours scrupuleusement rythmé… Et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'au bout de dix combinaisons successives irréprochables, la petite troupe ne rentre en mode « Fever », sorte d'état de transe qui décuple ses possibilités de combat… mais aussi son entrain vocal, d'où la difficulté pour le joueur débutant à maintenir longtemps ce mode fiévreux ! Quand on sait que certaines zones sensibles du parcours initiatique (par ex. le Désert de feu) sont à franchir entièrement en mode « Fever » on imagine les arrachages de cheveux qui peuvent en résulter !

1Puis, en plus de la maîtrise progressive de contraintes de coordination rythmique de plus en plus difficiles à tenir, viennent se greffer des éléments de stratégie et de jeu de rôles. Entre chaque mission – réussie ou ratée – les Patapons rentrent au village, à Patapolis, pour un bûcher autour du gibier ramené de la chasse. C'est aussi le moment de transformer le butin (pierres, minerais, viandes et branches d'arbres, plus ou moins banales ou précieuses) en offrandes à l'Arbre de vie pour faire naître des guerriers spécifiques : archers (Yumipons), lanciers (Yaripons), cavaliers (Kibapons)… Différents types de combattants qui n'ont pas les mêmes atouts et défauts, tous ne sont pas utiles pour toutes les missions (dans certains cas, ils peuvent gêner plus qu'ils n'aident) et, avant de partir à la chasse ou au combat, il s'agit de placer intelligemment ces unités au sein de ses troupes : par ex. manieurs de sabres et de haches devant, lanceurs de lances derrière eux, archers en queue de peloton… Ou les cavaliers Kibapons, efficaces seulement en mode « Fever » qui demandent plutôt à rester protégés en deuxième ligne le temps d'enfiler les dix sans fautes rythmiques qui permettent d'atteindre cet état survolté (une fois en mode « Fever », les cavaliers-béliers dépasseront vite les autres unités pour se retrouver en première ligne… Ou l'utilisation privilégiée des archers et lanciers pour la chasse aux oiseaux Motitis à l'odorat très sensible (sensibilité aux odeurs qui change selon la météo : pluie et vent viennent diminuer ou augmenter la sensibilité de ces bébêtes aux odeurs !), qui ne peuvent donc être atteints que de loin - et non au corps à corps… 

Rassurez-vous : ces difficultés apparaissent progressivement au cours du jeu et, comme d'habitude depuis quelques années dans la communauté internationale des joueurs, lorsque vous vous retrouvez bloqués ou confrontés à un « nœud » du jeu que vous n'arrivez pas à démêler, de très nombreux forums sur Internet vous aident à aller de l'avant… Alors, à vous de jouer : tentez l'aventure !

Philippe Delvosalle

 

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