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Pointculture_cms | critique

SPELLEWAUERYNSHE

publié le

L’énigmatique Akira Rabelais n’est pas plus japonais que français, il s’agit d’un compositeur de musique électronique californien. En 1997, il développe un logiciel qu’il nomme Argeïphontes Lyre. Sous cette appellation poétique et mystérieuse […]

L’album Spellewauerynsherde sort en 2004 sur Samadhisound, le label de David Sylvian. Le matériau originel de cette œuvre provient d’enregistrements de chants traditionnels islandais, probablement réalisés vers la fin des années 1960 ou le début des années 1970. Les bandes, autrefois oubliées, rassemblent une série de chants a cappella, sorte de recueil de cantiques de la désolation, se rapprochant parfois de certains chants liturgiques, mais aussi parfois des chants ancestraux islandais appelés rímur (poèmes épiques ayant souvent pour thèmes les sagas islandaises).
Après avoir exhumé ces archives, Akira Rabelais, littéralement fasciné par celles-ci, a entrepris leur transfert en numérique. Le compositeur n’en est pas resté là et décida d’incorporer les voix à son processus de création musicale et de les soumettre à son logiciel Argeïphontes Lyre.
Rabelais nous propose une œuvre inclassable, un travail de mémoire, à l’instar d’un historien de la musique, un collectage afin de sauver ces voix de l’oubli. Il ne se contente pas de nous les livrer brutes, il leur offre au contraire une cure de jouvence et leur prodigue son élixir à travers sa contribution. Il ne dénature pas le chant mais le magnifie grâce à ses légères interventions électroniques autour des réverbérations et répétitions. Rabelais évite la répétition, variant le traitement de chaque morceau, certains restant même très proches de leur version initiale. Une alliance entre temps passé et temps présent, entre tradition et modernité. Le temps, ossature incontestable de cette composition ballottée entre passé et présent, resurgit même à travers les noms de plages de l’album, références médiévales anglo-saxonnes (par exemple, le titre « 1382 Wyclif Gen. ii. 7 » se réfère à l’année où le théologien anglais John Wyclif fut condamné pour hérésie).
L’ensemble est d’une rare beauté, provoquant une intense impression ambivalente de plénitude et d’angoisse. Les voix tour à tour incantatoires, obsédantes et mélancoliques, nous plongent dans une atmosphère hors du temps et de toute réalité. Fragilité et tristesse s’entrecroisent, plaintes et pleurs s’entrechoquent. Rabelais nous fait voyager à travers les époques et surtout à travers nos sentiments. L’effet n’est pas immédiat, l’ensemble s’immisce subtilement dans notre inconscient, mais une fois installé, inutile d’essayer de l’en déloger.

Stephane Martin

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