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Pointculture_cms | critique

SPLAZSH

publié le

« Darren Cunningham s’est fracturé la rotule gauche pour la troisième fois lors d’un entraînement d’avant-saison et il a subi une nouvelle opération vendredi dernier. Si le pronostic initial prévoyait pour l’attaquant originaire de Wolverhampton une […]

« À quelque chose malheur est bon », nous assène un proverbe. Comme cela arrive parfois, la sagesse populaire n’a cette fois pas tout à fait tort. Encore loin d’endosser sa nouvelle identité (nom de scène : Actress, à partir de 2004), le jeune footballeur black de Premier League, né dans la banlieue de Birmingham en 1979, profite de sa guibole en mille morceaux pour aller s’aérer la tête et les oreilles du côté de Londres où il part étudier le son à l’université. Très vite, au début des années 2000, il y expérimente en chambre avec un matériel limité : une Groovebox Roland (instrument dans la lignée de la fameuse MC-303 qui combine une source sonore, un séquenceur et une interface de contrôle) et un dictaphone. Ce n’est que lorsqu’il aura poussé son équipement de base dans ses derniers retranchements qu’il envisagera de faire le pas vers une musique utilisant l’ordinateur. Quelques années plus tard, en particulier au cours d’une assez longue période de gestation qui s’écoule entre son six-titres No Tricks en 2004 et l’album Hazyville en 2008 (tous les deux sur son propre label, Werk Discs), on retrouve dans sa démarche à la fois un souci très conscient du son et une pensée de ce son qui s’articule en des termes très concrets et matériels. « J’avais à travailler mon son », raconte-t-il en effet en 2010 à Lisa Blanning du magazine The Wire, précisant que l’ombre de la techno de Detroit planant au-dessus de sa musique l’obligeait à chercher sa propre personnalité sonore pour ne pas juste rester coincé dans les ornières de cette filiation. « J’ai commencé à jouer avec des échantillons sonores, en les brouillant, en les rendant flous jusqu’au point où ils deviennent comme de l’encre ou de la peinture, à ce point consistants et matériels », explique-t-il par ailleurs à Ben Beaumont-Thomas du Guardian à propos du processus créatif qui l’a conduit à son second album, Splazsh (Honest Jon’s, 2010).
Lové dans une très belle pochette cartonnée (très graphique : géométrique, presque en noir et blanc), cet album se révèle vite être un étonnant mille-feuilles sonore, éclaté mais ne manquant pour autant ni de personnalité ni de cohérence. Les quatorze plages du disque durent entre presque deux et presque neuf minutes et explorent les différentes strates de l’histoire des musiques électroniques de 1980 à nos jours (techno, house, dubstep, RnB, etc.). La grande majorité des morceaux sont assez répétitifs, ne sont pas balafrés de violentes ruptures ou tendus de montées en puissance irrésistibles. Ils semblent plutôt flottants ou dérivants, trouvant leur juste durée, assumant leur belle obstination presque monotone et leur relatif dépouillement (leur construction à partir d’un nombre limité d’éléments qui évoluent par glissements et changements plutôt lents). Par contre, d’une plage à l’autre, se marquent des contrastes très affirmés. Le voyage intersidéral en apesanteur du morceau d’ouverture, « Hubble », a peu à voir, à la première écoute, avec les menaçants synthétiseurs johncarpenteriens de « Maze » ou avec les bégaiements de CD en déroute de « Supreme Cunnilingus » (la lignée Oval – Cf. ailleurs dans cette ligne du temps). Cunningham explicite sa démarche en présentant l’album comme une série de quatorze études se référant chacune à un disque bien particulier de l’histoire des musiques de danse des trente dernières années (par exemple « Always Human », construit à partir de sons provenant de « Human », la rencontre en 1986 entre Human League et les producteurs Jimmy Jam et Terry Lewis, originaires de Minneapolis et proches de Prince). Mais, comme le prouve « Hubble », son étude de « Erotic City » de Prince lui-même, l’outil d’Actress n’est jamais le papier carbone et si trace il y a, elle est estompée et fantomatique. Sans qu’on sache exactement l’identifier et le nommer, il y a quelque chose de très personnel, d’intrinsèquement lié au jeune musicien londonien, qui relie ces morceaux au-delà de ce qui les différencie. Comme une alliance assez rare (donc précieuse) entre le mystère et l’efficacité, entre l’expérimentation et le groove ; entre le rêche et le doux, entre le coupant et le rond.

Philippe Delvosalle

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