WHAT DOES IT ALL MEAN? 1983-2006 RETROSPECTIVE
Dans l’excellent documentaire « Good Copy Bad Copy » (Entièrement disponible sur http://www.goodcopybadcopy.net/), les réalisateurs Andreas Johnsen, Ralf Christensen et Henrik Moltke rappellent les démêlés du groupe N.W.A. avec la loi. Outre les différentes affaires les opposant au FBI pour obscénité, incitation à la violence, etc. (le morceau « F*** tha police » étant particulièrement difficile à digérer par les autorités concernées…), et les procès qui ont par la suite vu s’affronter les différents membres du groupe, N.W.A. a également été attaqué en justice pour sampling. N.W.A. avait sorti un premier CD en 1987, mais c’est l’album « Straight Outta Compton » de 1988 qui allait installer le groupe et en faire, sinon le premier, disons le plus emblématique du Rap Hardcore. En juste trois ans, le groupe «le plus dangereux du monde » (« The World's Most Dangerous Group ») imposa sa vision brutale des rues de Los Angeles. Et s’il définissait sa musique comme du « Reality Rap », tout le monde ne parla plus, à partir de là, que de «Gangsta Rap». En 1990 sortait leur morceau « One hundred miles and running » sur l’album du même nom qui utilisait un peu moins de trois secondes du morceau « Get up your ass and jam » de Funkadelic. Ces trois secondes, ralenties, filtrées, méconnaissables, furent néanmoins suffisantes pour que la firme Bridgeport Music, qui possède les droits sur le morceau original, les assigne en justice.
C'’est ce genre de freins légaux qui a jusqu’ici empêché la parution « officielle » des œuvres de Steinski. Construite entièrement à base de samples, les «lessons» de Steinski et de Steinski & Double Dee ont pendant longtemps été dans le monde du hip-hop la référence ultime en matière de collage. Ces suites amalgamant quelques douzaines de disques en morceaux de cinq minutes sont un cauchemar pour qui voudrait les passer au crible afin de les clearer, de les légaliser. On ne sait si la firme de disque Illegal Art a pris cette peine avant de les publier et qu’importe. Toujours est-il que c’est aujourd’hui chose faite, ce qui nous vaut la parution de «What Does It All Mean ? 1983-2006 Retrospective», un disque sur lequel on retrouve quelque quatorze morceaux n’ayant auparavant circulé que sous le manteau, pour ainsi dire, apparaissant régulièrement sur des bootlegs, des mixtapes, et dès que la technique l’a permis, sur d’innombrables sites internet. Ce sont ces diffusions illégales qui inspireront les carrières de DJ Shadow, de Cut Chemist, de Coldcut et de bien d’autres artistes qui feront du détournement, de l’appropriation, du décalage et du collage, bref, du sampling, la forme d’art qu’il est aujourd’hui. Ce n’était pas encore le cas en 1983, lorsque débuta Steve Stein, alias Steinski, une moitié du duo Steinski + Double Dee. Plutôt atypique dans le monde naissant du hip-hop, Stein était un réalisateur de pub de 32 ans qui produisait de temps en temps des megamix, des remix commerciaux à la demande des maisons de disques. C’est pour répondre à un concours de remix qu’il réalisera « Lesson 1 (The Payoff Mix) », et ce qui devait être un simple ravalement de façade pour le morceau «Play That Beat Mr. DJ » de G.L.O.B.E. & Whiz Kid deviendra la pierre blanche d’un nouveau genre. Non content de retravailler le morceau original, Steinski et son complice allaient y ajouter une quantité incroyable de fragments d’autres disques: des pièces anonymes comme des disques d’apprentissage de danse de salon, mais aussi des citations de morceaux connus comme « Rock It », « Stop In The Name Of Love », « Last Night a DJ Saved My Life » ou « Buffalo Gals ». Le tout sera encore agrémenté de scratches et d’extraits de films, Casablanca entre autres. La présente compilation prend « Lesson 1 » comme point de départ et nous balade à travers la carrière de Steinski jusqu’à «Nothing to fear», un mix réalisé en 2002 pour la BBC et qui donne une rare occasion d’entendre Steinski « sur la longueur ».
Benoit Deuxant