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Pointculture_cms | critique

HUMBLING TIDES

publié le

Cheval-Tambour : Folk d’ici et kora d’Afrique, autre figure du métissage

Seul ou presque à tenir la bride de son projet Stranded Horse, désormais de sortie sans son « Thee » introductif, Yann Tambour continue de tracer, avec les moyens du bord, de miraculeuses lignes de fuite sensibles entre des parties du paysage musical que l’on pensait sans liens de parenté connus.


Il y a quelque temps de cela, on a vu Yann Tambour, alias Stranded Horse, défendre pied à pied ses fragiles compositions depuis un invisible réduit, dans un coin presque à l’écart d’une brasserie huppée bruxelloise, à une heure de pleine affluence. Le brouhaha et l’indifférence même pas polie d’une grande majorité des « clients » présents ce soir-là n’ébréchèrent qu’à peine l’enthousiasme réservé d’un musicien qui joue et chante assis devant les quelques auditeurs (debout) venus rien que pour lui, retranché derrière les maigres fortifi cations des quelques instruments dont il use à tour de rôle, au sein desquels, outre la guitare acoustique on aperçoit deux variantes de poche de la kora. Instrument à cordes originaire d’Afrique, la kora est une harpe-luth mandingue (régions de l’Ouest africain : Mali, Sénégal, Guinée, Sierra Leone…). Il en existe de diverses tailles, mais la kora se présente généralement comme une espèce de demi-calebasse, creuse et percée de trous, surmontée d’un manche du haut duquel redescendent un certain nombre de cordes, 21 la plupart du temps. On peut en jouer debout, mais il est pratiqué le plus souvent assis, à la façon d’une harpe, avec les doigts, le manche en face des yeux.

A priori, rien ne prédestinait ce Français baigné d’influences electro-pop anglo-saxonnes à emprunter des sentiers musicaux aussi distants de son aire d’imprégnation culturelle. Dans une existence discographique antérieure, sous l’alias d’Encre, Tambour distillait ses humeurs chagrines et constats désabusés dans d’entêtantes boucles où l’organique et l’électronique se mêlaient indiciblement, au carrefour de l’intransigeance corrosive de Programme et du désenchantement atone (parlé-chanté maladif de rigueur) de Mendelson.
Deux albums - st (2001) et flux (2004) et une paire d’Ep’s, dont un live (Common Chord en 2006) plus loin - Tambour remise loops et saturations électriques au placard à souvenirs, fait connaissance avec la musique mandingue et la kora comme on se découvre sur le tard un cousin éloigné dont on se sent instantanément proche, et se mue en un drôle de canasson, certes, malingre (vêtu de peu), mais pas aussi à la dérive qu’une traduction un peu rapide laisserait à penser : The Stranded Horse, littéralement «(toi), le cheval échoué» ! Churning Strides (2007) étonna parce qu’il substituait (enfin) à la vision commune d’une musique occidentale en quête d’exotisme à peu de frais et faisant tranquillement son marché sans demander son reste aux imaginaires singuliers croisés en route et invariablement ramenés à elle, l’idée d’un système transversal de reflets croisés et d’échos ondoyants où chacun demeure chez lui, mais se laisse interpénétrer par l’autre dans une démarche d’échange et de partage ; tous acquis à l’idée que la tradition, c’est avant tout un beau chantier sans date de clôture des travaux ! Et, nulle part dans Humbling Tides (mot à mot : humble marée), deuxième travail d’un Stranded Horse qui s’est délesté en chemin de sa particule « Thee », on ne ressent de coupables prétentions à égaler les maîtres de la Kora, Toumani Diabaté et Ballaké Sissoko – avec lesquels Tambour a
tourné et partagé une face de vinyle (tout simplement nommée Stranded Horse & Ballaké Sissoko) en 2008.


De la kora, on n’en trouve même pas à toutes les étapes de ce disque écrit à Bristol (U.K.) et mis en boîte dans la région d’origine du musicien, le Cotentin, qui du coup se met symboliquement à ressembler – chaque face de la pochette de l’album pourrait représenter l’un des quatre éléments - à une lande en friche, à mi-chemin de l’Ouest africain, de l’Angleterre et de la France, où Tambour se donnerait tout le temps d’inventer, presque à l’écart et en toute sérénité, un « isolat » pop ouvert et complet, loin de tout « bricolage » syncrétique arty.
En ouverture, « And the Shoreline it Whitdrew in Anger » plante une mélodie cerclée de jets de cordes cristallines de la kora. C’est beau, contrasté et épuré comme un ciel azuré coiffe un paysage désertique. « Shields » qui lui succède revêt une fine laine de guitare acoustique avant qu’un violon (joué par une Mansfield TYA) ne vienne rediriger la boussole d’un Tambour qui renoue avec sa langue natale le temps « des axes déréglés », où les mots exhibent encore des ecchymoses et hésitations de leur longue incubation. Plus loin dans « le Bleu et l’éther », tel un Bertrand Betsch de front de mer, se contentera d’une diction chantée. Doucement ballottés par quelques ressacs d’arpèges caressés, « They’ve Unleashed the Hounds for the Wedding », ainsi que son successeur, le solennel « Jolting Moon » montrent sans fard leur pedigree « english sixties folk ». Et tant qu’à tailler dans le smog anglais, Stranded Horse en profite pour reformuler à sa guise l’antienne « What Difference Does it Make ? » des Smiths. C’est réussi parce en s’arrimant au spleen et à rien d’autre, et donc un état d’âme (?) universel, Stranded Horse établit de curieuses correspondances en pointillés, en demeurant au plus près de l’émotion première, à l’instant « a » de son expression. En final, sur un instantané d’une dizaine de minutes (« Halo »), le Français offre un ultime instantané de son grand voyage immobile.
La marée est à son maximum. Elle se retirera bientôt.

 

 

Yannick Hustache

 

> Téléchargement sur le site médiathèque : Les oeuvres de
Yann Tambour sous le nom de Encre sont disponibles.

 

 

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