SYSTEMISCH
Lorsque l’album Systemisch sort en 1996, Oval est encore un trio composé de Markus Popp, Sebastian Oschatz et Frank Metzger, et non encore le projet solo autoproclamé de Markus Popp. Leur précédent album était un album de chansons pop, apparentées à une tradition très allemande de composition décalée, en marge du rock comme de la musique électronique, et inscrivant une démarche avant-gardiste, formellement presque subversive, dans l’académisme classique de la chanson. Les compositions qui figurent sur ce premier disque, Wohnton (1993) exploraient déjà les possibilités sonores du glitch, des erreurs techniques occasionnées par la lecture de disques (numériques) endommagés, maltraités, ou préparés. En mettant en boucle ces passages défigurés de CD, en isolant les interférences et les sons parasites nés de ce détournement des techniques normales de lecture de disque, le groupe inventait alors une musique basée sur l’assemblage de minuscules fragments de déchets électroniques, de sons corrompus et de musique dénaturée, expropriée.
Publié cette fois chez Mille Plateaux, label allemand expérimental post-techno, ce deuxième album propose un saut conceptuel en mettant l’accent sur la musique non plus comme support du texte, mais comme élément principal du discours. Selon les déclarations du groupe, ce discours se veut avant tout réflexif, critique, sur le statut de la composition électronique à l’aune des nouvelles technologies – informatique, échantillonneurs, etc. Leur musique se présente comme un commentaire sur les médias, sur le support musical comme sur la présence esthétique de la musique et son statut de son organisé. Cette nouvelle orientation du projet Oval voit Markus Popp écarter les deux autres membres du groupe pour en faire son alias personnel, et l’orienter vers une définition de plus en plus conceptuelle. Il déclare concentrer ses efforts sur le rejet de toute forme d’expressivité au sens traditionnel, et sur la mise en perspective du conflit entre les techniques contemporaines, numériques, de productions sonores et la vision décrétée antique de l’artiste comme auteur et créateur. Il se veut le pilote d’une technologie dans laquelle sa subjectivité et ses choix intentionnels n’ont que peu de place. Il se positionne comme l’utilisateur d’une interface générant un simulacre de musique, par opposition à la vision conventionnelle du musicien. L’insistance sera alors sur le statut de commentaire critique du projet plus que sur celui de production, ou d’exploration artistique du son. Pour cela son travail à partir de Systemisch le verra osciller entre une certaine musicalité comme sur l’album Diskont, et les disques suivants explorant une palette sonore plus abrasive, mais surtout développer une méthode de composition de plus en plus automatisée, culminant dans l’élaboration d’une machine-outil sonore baptisée ovalprocess, créant spontanément de la musique sur base d’une banque de sons rassemblés par Popp. Cet automate sera soit utilisé dans des installations comme seul producteur musical, soit présenté au public comme une interface lui permettant de faire lui aussi « de la musique d’Oval ». Curieusement, par la suite, plus sa musique tendra à lui échapper, plus il s’en réclamera l’auteur, parlant de sa musique, là où il parlait auparavant de processus numériques autonomes, et d’erreurs calculées. Il déclarera être « d’une part la personne qui crée les sons, leur auteur, et d’autre part la personne qui gère les aspects procéduriers de la méthode générant la musique ». Par delà le discours, il reste une vision radicale de la musique comme assemblage méticuleux de cellules sonores, comme agrégation de fragments, d’éclats, renvoyant à la fois à l’œuvre d’origine (en tout cas à son contexte) et à ses conditions matérielles de production. Si la présentation de l’échantillon comme fraction métonymique peut parfois sembler didactique, le résultat, après un travail patient d’accumulation tonale et de juxtaposition rythmique, dépasse avec bonheur le simple exposé.
Benoit Deuxant