CRACK CAPONE (THE)
S’il débarque seulement aujourd’hui en Europe, pour s’y imposer en l’espace de quelques mois (comme influence incontournable, comme nouveau paradigme en tout cas), le juke a déjà une longue histoire derrière lui, depuis ses débuts comme dérivé de la house de Chicago, puis son métissage avec le hip-hop et le son Miami Bass, jusqu’à son omniprésence dans les blocs-parties underground de la région. Musique complexe et paradoxale, c’est un genre qui cherche à la fois l’efficacité immédiate et l’abstraction à travers des rythmiques ultra-véloces, souvent déconstruites et brisées, toujours austères et opiniâtres.
Clarence Johnson, alias The Crack Capone, alias DJ Roc, s’est lancé dans la musique en 2001, entre autres grâce à la disponibilité de programmes informatiques de composition comme fruityloops, qui lui ont permis de démarrer une production pléthorique entièrement réalisée dans un coin de son appartement. Il s’est également illustré comme DJ et comme organisateur de soirées, jouant et diffusant sa propre musique et d’autres productions des styles qu’il affectionne, ghetto house, juke, etc. Bien avant l’intervention de Mike Paradinas, il était parmi les premiers musiciens de juke à diffuser ses mix-tapes. Publiées en collaboration avec DJ Slugo, elles constituaient une série, entamée avec leur premier CD : Juke City : The Crack Capita, suivi par Juke City Vol.2 : The Take Over puis Juke City Vol.3. DJ Roc est avec DJ Nate, un des premiers musiciens de juke « importés » de Chicago par Paradinas lors de la réalisation pour son label Planet Mu des anthologies Bangs & Works, qui introduisirent ce style musical – jusque-là très local et très underground – au reste du monde. Avec ses emprunts éléphantesques, non seulement au hip-hop et au R’n’b, mais aussi à la musique classique la plus bombastique, la musique de film la plus efficace (mais aussi la plus reconnaissable), DJ Roc produit une musique excessivement visuelle, hyperkinétique, remplie à ras bord d’images hétéroclites, d’évocations contradictoires, passant du cinématique à l’incongru (une cornemuse par ici, les chœurs de l’Armée rouge là). Là où DJ Nate joue avec le caractère minimaliste, brut, du juke, DJ Roc semble préférer une agitation baroque, un bouillonnement extravagant. Mais tous deux partagent des rythmiques impitoyables, jamais résolues, jamais confortables, soutenues par une basse souterraine et menaçante, et un goût pour les fragments de voix insolites répétés en boucle à toute vitesse, jusqu’à l’absurde.
Benoit Deuxant