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Pointculture_cms | critique

Douce marche funèbre : « The Green Knight » de David Lowery

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Dans cette éblouissante transposition du cycle arthurien, Gauvain, aspirant chevalier de la Table ronde, entame un périple incertain vers sa propre mort.

Sommaire

Jeune homme

L’esprit encore embrumé après une nuit d’alcool et d’amour, Gauvain (Dev Patel) ne s’attend à se trouver au centre de l’attention en rejoignant l'assemblée convoquée au château pour la Noël. Hormis sa belle stature et un pedigree non moins imposant, le fils de la fée Morgane et neveu du roi Arthur est un jeune homme comme les autres. Faussement léger, un brin crâneur et bon vivant, l'indolence chez lui tient davantage d’un tempérament mélancolique que d'un défaut de caractère. Au regard de ses aînés, nul doute que le jeune homme ignore sa propre valeur. Le roi ne s’y trompe pas, qui entend le rappeler tendrement à l'ordre en l'invitant, contre tout usage, à prendre place auprès de lui, honneur auquel seul un chevalier peut prétendre.

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Soudain, une ombre colossale fait irruption au milieu de la salle. Une chose gigantesque, rappelant par sa forme un chevalier, s'avance avec fracas parmi les hommes d'armes plongés dans la stupeur. Pressé de prouver son mérite, Gauvain n’a guère d’autre choix que de de relever le défi lancé par le spectre qui domine l'assistance de toute son anatomie statufiée. Or le défi n’est pas moins étrange que son auteur. S’offrant à la décapitation, le Chevalier vert exige que l’année suivante, son exécuteur se présente à son tour devant lui pour qu'il lui rende la pareille.

De cette adaptation d'un poème anonyme du XIVème siècle traduit et popularisé en 1925 par J. R. R. Tolkien, on se gardera d'affirmer qu'elle comblera les attentes du médiéviste rigoureux. Les sensibilités actuelles en revanche y trouveront plus d’un point de résonance avec notre monde. À cet égard, il faut souligner l’attention accordée aux personnages féminins (Lady et Essel / Alicia Vikander ; la fée Morgane / Sarita Choudhury ; Winfred / Erin Kellyman), lesquels, dans le texte d'origine, ne sont certainement pas les sujets d'une partition aussi complexe ni aussi intrigante que celle qui les fait exister à l'écran. Ce regard porté vers les questions d’ordre existentiel autant que sociétal est le fait d’un cinéaste qui, depuis ses débuts à Sundance en 2013 (Ain’t Them Bodies Saints / Les Amants du Texas) jusqu’au récent A Ghost Story, a su négocier son passage du cinéma indépendant aux superproductions hollywoodiennes (le très antispéciste Peter et Elliott le Dragon, puis The Green Knight) sans rien céder sur son désir. Le résultat se donne à l’écran avec une langueur et une douceur inaccoutumée pour un cinéma qui, en termes stricts de genre, se qualifie d’ordinaire davantage pour son action musclée que pour ses plans contemplatifs.

Sans violence

Il est vrai qu’à cet égard, Nicolas Winding Refn a ouvert la voie il y a quelques années avec le somptueux Valhalla Rising (2009). Cependant, l’extrême violence du réalisateur danois l’inscrit en totale opposition avec la délicatesse quasiment programmatique de David Lowery reposant elle sur la déconstruction des automatismes féroces figurés par le schéma agression-réaction. Devant sa caméra, une caresse, un baiser, un mouvement de retrait, un temps de repos ou l’énigme d'une ellipse sont des stratégies de détournement qui viennent clore des montées en tension dont on n’imagine pas qu’elles puissent s’achever autrement qu'en une décharge brutale et sanglante. C’est assez rare pour être mentionné : chez Lowery, la violence est une donnée initiale, et donc une pulsion humaine qu’il est, toutefois, plus humain encore de désamorcer.

Ce traitement volontiers déceptif de l'action s’inscrit en creux dans un parcours initiatique très éloigné, lui aussi, d’un perfectionnisme moral qui verrait l’aspirant chevalier accéder au statut de héros. Contrairement à ce que la bande-annonce pourrait laisser croire, The Green Knight n’est pas un monument érigé à la gloire de la volonté et du dépassement de soi. Les épreuves s’abattent au rythme halluciné d’une succession de trompe-l’œil et de faux-semblants. Après tout, c’est vers sa propre mort que s'élance le chevalier-qui-n’en-est-pas-un. Pour honorer l’engagement pris en un funeste jour de Noël, Gauvain part en quête du monstre auquel il a promis sa tête. Et comme tout condamné, il n’a absolument pas envie de mourir. Son cheminement n’est peut-être rien d’autre que le film de sa propre vie qui repasse sous ses yeux affolés, sans rime ni raison, passé, présent et avenir confondus. Au fil des rencontres, Gauvain voit surgir des visages familiers devenus méconnaissables, comme si chaque être de son entourage possédait quelque part un double, tantôt maléfique tantôt bienveillant. Quant à sa propre duplicité, si l’objectif réel du voyage est pour le jeune homme d'en prendre conscience, toutes les valeurs qu’il s’efforce d’incarner, courage, honneur, loyauté, apparaissent alors pour ce qu’elles sont : vanité humaine.

Où règne le sauvage

Émanation de la nature (par opposition à la société établie autour du roi Arthur), le Chevalier vert agit en révélateur des failles et des contradictions d'une foi chrétienne empêtrée dans son combat contre le paganisme. La forme du récit liquide tout manichéisme et ne garde de cette lutte que l’image d’un enchevêtrement complexe, celui d’un corps à corps, d’un vertige organique, mental, social et politique entre deux systèmes impuissants à enrayer la souffrance. Affrontement dont nul bien entendu ne sort victorieux, encore moins grandi.

La verte Irlande, toute en forêts et plaines embrumées où règne le sauvage, reconduit le poème à sa source originelle. Ces atmosphères éthérées, soutenues par une bande-son très (trop ?) présente de bruits organiques et de chants traditionnels, en appellent de manière appuyée à une lecture philosophique des images évoquant, par moments, le Terrence Malick des premières heures, celui de Badlands ou The Thin Red Line, ou encore, le très beau Michael Kohlhaas d’Arnaud des Pallières. Cependant, dans sa façon de nouer les pistes d’interprétation, David Lowery propose une œuvre singulière qui – comble de l’incertitude – ne demande peut-être pas à être prise au sérieux. C’est un fait, le film ne manque pas d’humour, élément par lequel il se distingue significativement de ses austères prédécesseurs. Ce que propose le Chevalier vert s’annonce d'emblée comme un jeu, argument que la pauvre Gauvain, saisi par la peur, ne cessera de brandir face au danger.

« Est-ce tout ce qu’il y a ? » demande le jeune homme arrivé à sa dernière heure. Que veux-tu qu’il y ait d’autre ? s’entend-il répondre. Qu’il s’agisse d’une blague macabre, d’un mauvais rêve ou d'une vérité qui se révèle un peu tard, le périple de Gauvain surligne avec force les contours désespérants d’une existence plate, dépourvue de cet au-delà qui porte à s'engager. Reste la marche, véritable figure de style d'une existence sans but, sans raison, exutoire d'une liberté désormais sans objet : l’insignifiance en mouvement.


Texte : Catherine De Poortere

Crédits images : © The Searchers

Films de David Lowery à PointCulture


Agenda des projections

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Sortie en Belgique le 04 août 2021.

Distribution : The Searchers

Le film sera projeté dans la plupart des salles du pays.