« The Protégé », un film de Martin Campbell (2021)
Tout commence en 1991. À Da Nang, au Vietnam, le tueur à gages Moody (Samuel L. Jackson) sauve la jeune Anna (Maggie Q) suite à une fusillade qui a tué ses parents. Trente ans plus tard, la fillette est devenue femme et a suivi les traces de son protecteur. Elle est devenue une des tueuses les plus qualifiées au monde et accepte sans sourciller les tâches les plus compliquées, la menant à assassiner le roi de la pègre roumaine vivant dans une des anciennes villas de Ceausescu. Dans la vie « normale », elle vend des livres rares et précieux dans une librairie londonienne, et est la propriétaire d’un chat capricieux qui accepte uniquement les caresses de sa maîtresse. Elle a également des talents de cuisinière : elle prépare en effet des cupcakes dans une scène un peu superflue.
Un jour, suite à une enquête à propos d’une énigmatique personne disparue, Anna retrouve Moody assassiné dans la baignoire de son superbe manoir anglais, décoré avec goût d’œuvres les plus hétéroclites venant du monde entier. Il était un père pour elle et elle décide de le venger, même si cela veut dire qu’elle devra retourner au Vietnam, pays qu’elle avait décidé d’ignorer jusque-là. Elle s’y trouve confrontée à Rembrandt (Michael Keaton), un tueur mystérieux à la tête du service de sécurité d’un expat multimillionnaire aux activités douteuses, personnage qui aurait dû avoir été tué par Moody dans le passé (en 1991 justement – la boucle est bouclée). S’ensuit alors un jeu du chat et de la souris entre Anna et Rembrandt, teinté d’un phénomène d’attraction – répulsion qui est assez jouissif à suivre.
L’histoire n’est pas toujours très claire et le spectateur a parfois un peu de mal à suivre les circonvolutions du scénario et les quelques flashbacks censés expliquer les origines du récit. Certains pans restent d’ailleurs très obscurs : il ne sera jamais expliqué pour qui travaillent Anna et Moody, ce qui n’était pas entièrement nécessaire mais qui aurait amené un peu plus de limpidité dans l’histoire. Le rythme du film s’en ressent un peu ; il y a pas mal de moments creux mais ils sont heureusement compensés par des scènes d’action de bonne facture, dans lesquelles Maggie Q et Michael Keaton montrent leurs talents en fusillade et arts martiaux. Les balles fusent dans tous les sens, ne touchant jamais l’héroïne, tandis que celle-ci tue les hommes qui la poursuivent avec juste deux ou trois coups de feu bien ajustés. C’est ça aussi, un film de vengeance avec un héros ou une héroïne bien typée !
Le film a été réalisé par Martin Campbell, connu notamment The Mask of Zorro (1998) et pour deux épisodes de James Bond, GoldenEye (1995) et Casino Royale (2006) (Anna boit régulièrement des martinis, avec olive, et passés au shaker – « shaken, not stirred », donc, selon les préférences de l’agent secret britannique). Il n’est pas donc pas étranger au film d’action, de même que le scénariste, Richard Wenk. Le générique annonce que The Protégé a été tourné par la même équipe que John Wick, l’excellent film de vengeance avec Keanu Reeves, mais c’est plus un argument de vente qu’un gage de qualité dans ce cas. Il manque en effet une cohésion, un rythme, et certaines choses ne sont pas totalement abouties. Les scènes tournées à Londres sont très crédibles, celles en Roumanie aussi, mais dès que le film est censé se passer au Vietnam, il y a quelques raccourcis malheureux qui font comprendre très vite que les scènes n’ont pas été tournées sur place : le premier plan est une redite de Blade Runner – la rue asiatique sous la pluie, avec les néons et les locaux portant des chapeaux coniques. D’autres plans de rue ne font pas illusion et manquent de réalité. Le tournage en studio (en Roumanie, avec une équipe bulgare et roumaine) transpire de partout alors que les effets spéciaux actuels permettraient justement d’oublier tout cela (et même dans des films plus anciens, sans effets spéciaux, des décors bien construits et bien filmés font illusion, comme dans Morocco de Josef von Sternberg, qui a pourtant été tourné en 1930).
L’action est censée se passer à Da Nang, quelques plans généraux y ont été tournés par une minuscule équipe vietnamienne, mais dès qu’on se rapproche des personnages, le retour en Roumanie est assez évident (la scène sur la rivière crie le faux, avec ce rocher karstique reconstitué pour faire penser à la baie d’Halong, située à des centaines de kilomètres de là. Les palais ou les immeubles de l’ère communiste roumaine ont par contre une certaine ressemblance avec l’architecture coloniale vietnamienne ou aux buildings plus modernes et ne choquent donc pas.
Maggie Q est parfaite dans son rôle de tueuse badass au mépris très distingué, tandis que Michael Keaton et Samuel L. Jackson sont d’excellents protagonistes, l’un comme opposant et intérêt amoureux, l’autre comme père de substitution. Par contre, on retombe dans ce cliché du couple où la femme est bien plus jeune (quasi 30 ans !) que l’homme en face d’elle mais le charisme de Keaton sauve quelque peu la mise. Plus généralement, ce n’est pas de film qu’il faut regarder pour y voir de jeunes stars : la moyenne d’âge est élevée, surtout du côté des acteurs masculins qui ont tous autour de la septantaine.
The Protégé souffre d’une série de défauts qui en font une série B mais ce n’est pas un mauvais film en soi ; il se laisse regarder et a ses bons moments, passant du film d’action à la comédie romantique. Les scènes d’action sont étudiées et filmées avec rigueur, le jeu de séduction entre Anna et Rembrandt est jubilatoire, certains décors – l’intérieur des maisons – sont superbes avec les divers objets et œuvres d’art qui y sont exposés et tous les acteurs offrent une performance de premier ordre.
The Protégé, un film de Martin Campbell
Etats-Unis – 2021 – 1h49
Texte : Anne-Sophie De Sutter
Crédits photos: The Searchers
Agenda des projections:
Sortie en Belgique le 10 novembre 2021, distribution The Searchers.
Le film est programmé dans la plupart des salles en Belgique.
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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